Après la puanteur lazarienne, le parfum béthanien.
Perso, mon épisode préféré, le plus glamour, scandaleux, féminin, éternel féminin même ! érotique, antimarxiste, anti-social, et puisque c'est son jour, le plus rachida datien.
Parce que je l'imagine très bien, moi, Rachida faire ce geste impensable, laver les pieds du Christ avec « une livre d'un parfum de vrai nard, très coûteux » [somme représentant dix mois de travail, précise Leloup] puis les essuyer avec ses cheveux.
Et avec ce détail délicieux (qui renvoie au « il sent depuis quatre jours » du chapitre précédent, la résurrection de Lazare) :
« La maison en était toute parfumée. »
Et de stigmatiser pour l'éternité celui qui n'aime pas le gaspillage, celui qui fait semblant de penser aux pauvres, celui qui déteste le luxe, l'encens, les bijoux, sans doute les femmes, celui dont le souci n'est que social, humanitaire (et rien de pire que les humanitaires, n'oublions jamais que la deuxième tentation au désert est la tentation humanitaire), le rapia, l'économe, le gâcheur de fête, le pisse-froid, celui qui dit qu'il faut « penser aux autres » dès que vous êtes heureux – nous avons nommé « Iehouda, l'homme de Qériot », Judas, bien sûr.
À lui, Ieschoua dit :
« Laisse la tranquille »
[deuxième fois qu'il prend publiquement la défense d'une femme et d'une femme érotisée, parfum, cheveux etc. Et tout comme l'était la femme adultère. Ieschoua défend les chaudes, qu’on se le dise.]
« C'est pour le jour de ma sépulture
qu'elle devait garder ce parfum. »
Autrement dit, c'est mieux de s'en servir de son vivant, c'est mieux de jouir tout de suite.
« Des pauvres, il y en aura toujours avec vous,
mais moi,
vous ne m'aurez pas toujours avec vous. »
A-t-on jamais prononcé une phrase aussi exquisement, légitimement, saintement antisociale, égoïste, scandaleuse ? Et qui est abyssale : la Présence plus sacrée que l'absence, la Parole plus essentielle que l'action (sociale), l'instant plus privilégié que le reste du temps.