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LIRE - Les contemporains - Page 22

  • Sophie Brissaud, le temps de Déméter

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     Il y a le livre des récompenses et il y a le livre des punitions. Le premier s’intitule Au champagne ! (40 recettes de chefs autour du champagne), le second Ever green food.

    Quoiqu’avec Sophie Brissaud, l’écrivaine-cuisinière-photographe-théiomane-globe trotteuse- blogueuse, qui a signé ces deux beaux ouvrages, la cuisine verte et bio peut, elle aussi, participer aux récompenses. Telles ces « Morilles, feuilles de capucine, raisins et oignons » dont la photo nous fait baver, page 56, ou ce « Faux Parmentier de racines », page 197, dont il faut, pour l’obtenir, « rapidement flétrir les épinards ou les blettes » - ainsi, l’on peut « flétrir » les légumes pour les rendre meilleurs. Triple plaisir de ce livre culinaire, visuel et littéraire !

    A chaque page son régal et sa langue. A chaque saison, sa collection de recettes – car l’une des leçons de Sophie Brissaud est de respecter les saisons, chaque produit ayant la sienne. Ne déréglons pas notre alimentation sous prétexte que le climat se dérègle, et rappelons-nous que nos ancêtres n’avaient pas d’œuf en hiver, les poules n’en pondant pas… jusqu’à la Chandeleur. Les « Tiges de rhubarbe épicées », cet « amuse-bouche taquin, croustillant, frais et épicé », seront délicieuses au printemps, tandis que les « Calzoncelli de marrons de Frassineto » bienvenues en automne. Mais moi, ce que je voudrais, c’est ce « Hareng à la fourrure », pardon, « sous la fourrure », page 149, ne serait-ce que pour utiliser la « mandoline à julienne » (quelle belle appellation  pour une râpe !) – en automne, également, zut ! Que dire, enfin, de ces très joyciens « Légumes rôtis, ventrèche et xipister », page 107, sauf qu’ils donnent furieusement envie – le ventrèche étant un lard de poitrine salée, le xipister  (qu’il faut prononcer « chipister ») une sorte de sauce basque à base d’ail, de piments, de poivrons et de thym - mais qu’il faut attendre l’été pour les déguster au maximum de leur saveur. Tant mieux.

    Sophie Brissaud le précise dans sa goûteuse introduction : l’objet de ce livre est de réapprendre à « guetter l’apparition annuelle des aliments que nous aimons, [redécouvrir] l’importance des rythmes qui scandent notre vie, [comprendre] physiquement les vertus de la patience et les plaisirs de l’attente. » Remettons-nous, oserait-on dire, au temps de Déméter. Et réhabilitons le légume qui, en France et dans les pays du centre et du nord, a longtemps été associé aux jeûnes, aux privations, et fut synonyme à la fois de bonne santé et de discipline (« mange ta soupe ! »), contrairement à ce qui se passait dans les pays du sud, par exemple en Grèce ou en Italie, où l’on savait privilégier sa saveur (et où  il était d’ailleurs plus rouge, orange et jaune que vert).

    En vérité, le « bio » fut notre passé, sera notre avenir, et commence, grâce, entre autres, à la mondialisation, à être notre « présent ». Fusion culinaire et recentrage alimentaire vont de pair. En ce sens, Sophie Brissaud plaide pour un locavorisme (du latin « locus », lieu, et « voro », dévorer) avisé : « non pas tout manger en production locale et saisonnière », ce qui aboutirait à une xénophobie alimentaire, « mais appliquer cette préférence là où elle est possible ». En fait, universaliser les productions locales quand elles existent, et se garder de créer de la concurrence artificielle à base de produits non locaux cultivés qui plus est à n’importe quelle période de l’année : évitons, par exemple, de faire venir des pommes de terre d’Egypte, qui seront conditionnées en Hollande, trimballés en camion à travers toute l’Europe, alors que nous en avons chez nous.

    De même évitons de vouloir à tout prix consommer du raisin ou des cerises toute l’année sous prétexte qu’on en cultive n’importe comment n’importe quand n’importe où.  Et n’oublions pas que comme le disait le chef Ferran Adria, cité par l’auteure, « une bonne sardine sera toujours meilleure qu’un mauvais homard ». D’ailleurs, ne croyons pas que la cuisine aux légumes n’est qu’une cuisine végétarienne : « c’est une cuisine sans excès, consciente mais non dogmatique, attentive au végétal et omnivore, délivrée des craintes alimentaires (tout est bon en quantité raisonnable)… »

    Impossible de le contester quand on voit cette « Daube de queue de taureau », page 201, ou ce « Boudin fermier, maquereau, pomme verte et gingembre », page 204, sans oublier la fabulissime « Aiguillette de vieille au thé végétal et ceviche de pêches », page 66, ni l’orgasmique….. J’arrête, je vais finir par tout citer !

     

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    Ever green food, par Sophie Brissaud et Catherine Madani (photos), Editions de La Martinière, octobre 2011, 30 euros.

    Au champagne ! (40 recettes de chefs autour du champagne), par Sophie Brissaud et Jean-François Rivière (photos), Editions de La Martinière, octobre 2011, 29 euros.


    Cet article est paru dans le dernier Magazine des Livres au printemps 2012.

    Rendez-vous prochainement sur le nouveau site de Joseph Vebret, LE SALON LITTERAIRE

     

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