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Spectacles sociaux - Page 30

  • Ayaan Hirsi Ali, l'insoumise.

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    "Je suis une dissidente de l'islam"
    par Ayaan Hirsi Ali
    "Je suis ici pour défendre le droit d'offenser. J'ai la conviction que cette entreprise vulnérable qu'on appelle démocratie ne peut exister sans libre expression, en particulier dans les médias. Les journalistes ne doivent pas renoncer à l'obligation de parler librement, ce dont sont privés les hommes des autres continents.

    Mon opinion est que le Jyllands Posten a eu raison de publier les caricatures de Mahomet et que d'autres journaux en Europe ont bien fait de les republier.

    Permettez-moi de reprendre l'historique de cette affaire. L'auteur d'un livre pour enfants sur le prophète Mahomet n'arrivait pas à trouver d'illustrateur. Il a déclaré que les dessinateurs se censuraient par peur de subir des violences de la part de musulmans, pour qui il est interdit à quiconque, où que ce soit, de représenter le Prophète. Le Jyllands Posten a décidé d'enquêter sur le sujet, estimant - à juste titre - qu'une telle autocensure était porteuse de lourdes conséquences pour la démocratie. C'était leur devoir de journalistes de solliciter et de publier des dessins du prophète Mahomet.

    Honte aux journaux et aux chaînes de télévision qui n'ont pas eu le courage de montrer à leur public ce qui était en cause dans "l'affaire des caricatures" ! Ces intellectuels qui vivent grâce à la liberté d'expression, mais acceptent la censure, cachent leur médiocrité d'esprit sous des termes grandiloquents comme "responsabilité" ou "sensibilité".

    Honte à ces hommes politiques qui ont déclaré qu'avoir publié et republié ces dessins était "inutile", que c'était "mal", que c'était "un manque de respect" ou de "sensibilité" ! Mon opinion est que le premier ministre du Danemark, Anders Fogh Rasmussen, a bien agi quand il a refusé de rencontrer les représentants de régimes tyranniques qui exigeaient de lui qu'il limite les pouvoirs de la presse. Aujourd'hui, nous devrions le soutenir moralement et matériellement. Il est un exemple pour tous les dirigeants européens. J'aimerais que mon premier ministre ait autant de cran que Rasmussen.

    Honte à ces entreprises européennes du Moyen-Orient qui ont mis des affiches disant "Nous ne sommes pas danois", "Ici on ne vend pas de produits danois" ! C'est de la lâcheté. Les chocolats Nestlé n'auront plus le même goût après ça, vous ne trouvez pas ? Les Etats membres de l'Union européenne devraient indemniser les sociétés danoises pour les pertes qu'elles ont subies à cause des boycottages.

    La liberté se paie cher. On peut bien dépenser quelques millions d'euros pour la défendre. Si nos gouvernements ne viennent pas en aide à nos amis scandinaves, alors j'espère que les citoyens organiseront des collectes de dons en faveur des entreprises danoises.

    Nous avons été submergés sous un flot d'opinions nous expliquant que les caricatures étaient mauvaises et de mauvais goût. Il en ressortait que ces dessins n'avaient apporté que violence et discorde. Beaucoup se sont demandé tout haut quel avantage il y avait à les publier.

    Eh bien, leur publication a permis de confirmer qu'il existe un sentiment de peur parmi les écrivains, les cinéastes, les dessinateurs et les journalistes qui souhaitent décrire, analyser ou critiquer les aspects intolérants de l'islam à travers l'Europe.

    Cette publication a aussi révélé la présence d'une importante minorité en Europe qui ne comprend pas ou n'est pas prête à accepter les règles de la démocratie libérale. Ces personnes - dont la plupart sont des citoyens européens - ont fait campagne en faveur de la censure, des boycottages, de la violence et de nouvelles lois interdisant l'"islamophobie".

    Ces dessins ont montré au grand jour qu'il y a des pays qui n'hésitent pas à violer l'immunité diplomatique pour des raisons d'opportunité politique. On a vu des gouvernements malfaisants, comme celui d'Arabie saoudite, organiser des mouvements "populaires" de boycottage du lait ou des yaourts danois, alors qu'ils écraseraient sans pitié tout mouvement populaire qui réclamerait le droit de vote.

    Je suis ici aujourd'hui pour réclamer le droit d'offenser dans les limites de la loi. Vous vous demandez peut-être : pourquoi à Berlin ? Et pourquoi moi ?

    Berlin est un lieu important dans l'histoire des luttes idéologiques autour de la liberté. C'est la ville où un mur enfermait les gens à l'intérieur de l'Etat communiste. C'est la ville où se concentrait la bataille pour les esprits et les coeurs. Ceux qui défendaient une société ouverte enseignaient les défauts du communisme. Mais l'oeuvre de Marx était discutée à l'université, dans les rubriques opinions des journaux et dans les écoles. Les dissidents qui avaient réussi à s'échapper pouvaient écrire, faire des films, dessiner, employer toute leur créativité pour persuader les gens de l'Ouest que le communisme n'était pas le paradis sur Terre.

    Malgré l'autocensure de beaucoup en Occident, qui idéalisaient et défendaient le communisme, malgré la censure brutale imposée à l'Est, cette bataille a été gagnée.

    Aujourd'hui, les sociétés libres sont menacées par l'islamisme, qui se réfère à un homme nommé Muhammad Abdullah (Mahomet) ayant vécu au VIIe siècle et considéré comme un prophète. La plupart des musulmans sont des gens pacifiques ; tous ne sont pas des fanatiques. Ils ont parfaitement le droit d'être fidèles à leurs convictions. Mais, au sein de l'islam, il existe un mouvement islamiste pur et dur qui rejette les libertés démocratiques et fait tout pour les détruire. Ces islamistes cherchent à convaincre les autres musulmans que leur façon de vivre est la meilleure. Mais quand ceux qui s'opposent à l'islamisme dénoncent les aspects fallacieux des enseignements de Mahomet, on les accuse d'être offensants, blasphématoires, irresponsables - voire islamophobes ou racistes.

    Ce n'est pas une question de race, de couleur ou de tradition. C'est un conflit d'idées qui transcende les frontières et les races.

    Pourquoi moi ? Je suis une dissidente, comme ceux de la partie est de cette ville qui passaient à l'Ouest. Moi aussi je suis passée à l'Ouest. Je suis née en Somalie et j'ai passé ma jeunesse en Arabie saoudite et au Kenya. J'ai été fidèle aux règles édictées par le prophète Mahomet. Comme les milliers de personnes qui ont manifesté contre les caricatures danoises, j'ai longtemps cru que Mahomet était parfait - qu'il était la seule source du bien, le seul critère permettant de distinguer entre le bien et le mal. En 1989, quand Khomeiny a lancé un appel à tuer Salman Rushdie pour avoir insulté Mahomet, je pensais qu'il avait raison. Je ne le pense plus.

    Je pense que le Prophète a eu tort de se placer, lui et ses idées, au-dessus de toute pensée critique.

    Je pense que le prophète Mahomet a eu tort de subordonner les femmes aux hommes.

    Je pense que le prophète Mahomet a eu tort de décréter qu'il fallait assassiner les homosexuels.

    Je pense que le prophète Mahomet a eu tort de dire qu'il fallait tuer les apostats.

    Il avait tort de dire que les adultères doivent être fouettés et lapidés, et que les voleurs doivent avoir les mains coupées.

    Il avait tort de dire que ceux qui meurent pour la cause d'Allah iront au paradis.

    Il avait tort de prétendre qu'une société juste pouvait être bâtie sur ses idées.

    Le Prophète faisait et disait de bonnes choses. Il encourageait la charité envers les autres. Mais je soutiens qu'il était aussi irrespectueux et insensible envers ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui.

    Je pense qu'il est bon de faire des dessins critiques et des films sur Mahomet. Il est nécessaire d'écrire des livres sur lui. Et tout cela pour la simple éducation des citoyens.

    Je ne cherche pas à offenser le sentiment religieux, mais je ne peux me soumettre à la tyrannie. Exiger que les hommes et les femmes qui n'acceptent pas l'enseignement du Prophète s'abstiennent de le dessiner, ce n'est pas une demande de respect, c'est une demande de soumission.

    Je ne suis pas la seule dissidente de l'islam, il y en a beaucoup en Occident. Et s'ils n'ont pas de gardes du corps, ils doivent travailler sous de fausses identités pour se protéger de l'agression. Mais il y en a encore beaucoup d'autres à Téhéran, à Doha et Riyad, à Amman et au Caire, comme à Khartoum et Mogadiscio, Lahore et Kaboul.

    Les dissidents de l'islamisme, comme ceux du communisme en d'autres temps, n'ont pas de bombes atomiques, ni aucune autre arme. Nous n'avons pas l'argent du pétrole comme les Saoudiens et ne brûlons ni les ambassades ni les drapeaux. Nous refusons d'être embarqués dans une folle violence collective. D'ailleurs, nous sommes trop peu nombreux et trop dispersés pour devenir un collectif de quoi que ce soit. Du point de vue électoral, ici en Occident, nous ne sommes rien.

    Nous n'avons que nos idées et nous ne demandons que la possibilité de les exprimer. Nos ennemis utiliseront si nécessaire la violence pour nous faire taire. Ils emploieront la manipulation ; ils prétendront qu'ils sont mortellement offensés. Ils annonceront partout que nous sommes des êtres mentalement fragiles qu'il ne faut pas prendre au sérieux. Cela n'est pas nouveau, les partisans du communisme ont largement utilisé ces méthodes.

    Berlin est une ville marquée par l'optimisme. Le communisme a échoué, le Mur a été brisé. Et même si, aujourd'hui, les choses semblent difficiles et confuses, je suis sûre que le mur virtuel entre les amoureux de la liberté et ceux qui succombent à la séduction et au confort des idées totalitaires, ce mur aussi, un jour, disparaîtra."

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    L'Express du 16/05/2005
    Ayaan Hirsi Ali
    «Le problème, c'est le Prophète et le Coran»

    propos recueillis par Jean-Michel Demetz

    Son héros a pour nom Spinoza, un autre «allochtone» exclu, lui, voilà plus de trois siècles de la communauté juive d'Amsterdam pour ses positions ratio-nalistes et sa défense du libéralisme. Née en Somalie, Ayaan Hirsi Ali a fui à 22 ans pour échapper à un mariage forcé. Réfugiée aux Pays-Bas, vieille terre d'accueil, cette musulmane en a adopté les valeurs libérales au point de devenir une jeune députée à La Haye et de s'affirmer athée. Pour avoir travaillé dans les services sociaux du royaume, elle connaît, de l'intérieur, les horreurs tolérées à l'encontre des femmes au nom du multiculturalisme. Son combat contre l'emprise de l'islam a pris un tour tragique depuis le 2 novembre 2004, date de l'assassinat par un radical islamiste du cinéaste Theo Van Gogh, coauteur avec elle de Soumission. Menacée de mort, elle sait qu'elle est peut-être en sursis. Ce qui la rend grave, insolente, ironique. Tout simplement plus libre

    On sait que vous êtes menacée de mort depuis l'assassinat de Theo Van Gogh et que vous êtes obligée de vous protéger. Comment vivez-vous?
    Je vis sous la protection de gardes du corps vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Une chambre a été aménagée pour eux dans mon appartement. Je ne suis jamais seule. La publicité autour de mon histoire a bouleversé ma vie quotidienne. Je suppose que cela l'a rendue plus intéressante… Après la mort de Theo, on m'a fait partir le 8 novembre pour les Etats-Unis, où j'ai séjourné dans les environs de Boston, d'abord, puis en Californie. Je suis rentrée le 18 janvier aux Pays-Bas. Il fallait laisser du temps à la justice pour déterminer si les menaces dont je fais l'objet émanent d'un seul individu ou, comme on l'a vérifié depuis, d'un groupe.
    Pourquoi êtes-vous une cible?
    Je suis devenue apostate: je ne crois plus en Dieu depuis les attentats du 11 septembre 2001. Aux yeux des fondamentalistes qui me menacent, cela justifie ma mise à mort. Ils me reprochent d' «insulter» le Prophète, de dire que l'islam opprime les femmes, de «collaborer avec l'ennemi», c'est-à-dire les non-musulmans.

    Savez-vous pourquoi Theo Van Gogh a été assassiné?
    Le message de l'assassin est clair: voyez ce que nous faisons quand on touche à l'islam, quand on critique l'islam! C'est aussi l'illustration de ce qui se passe quand on autorise des mouvements radicaux à prendre racine et à se développer. C'est un avant-goût de ce que ce que l'avenir peut réserver aux Pays-Bas comme au reste du monde. Le débat entre la sécurité et la liberté ne fait que s'ouvrir.

    La liberté, est-ce pour autant la provocation? Vous avez quand même traité Mahomet de terroriste et de pervers
    Je ne le regrette pas. C'était dans un entretien accordé au quotidien Trouw, à propos des Dix Commandements. Oui, le Prophète a dit qu'il n'y avait qu'une et unique vérité et au nom de cette unicité a détruit toute liberté d'expression. Oui, le Prophète a désiré et volé Zaïnab, la femme de son disciple, qu'il a épousée en prétendant qu'il le faisait avec la bénédiction de Dieu. Oui, il est tombé amoureux d'Aïcha, la fille de son meilleur ami, quand elle avait 9 ans et a refusé d'attendre qu'elle ait atteint la puberté. Le Prophète a demandé la main de la petite fille à 6 ans et le mariage a été consommé quand elle a eu 9 ans: dans nos sociétés occidentales, c'est ce qu'on appelle un pédophile. Cela ne relève pas seulement de l'Histoire: aujourd'hui encore, des musulmans veulent épouser des petites filles en prenant exemple sur le Prophète, ce modèle de moralité. Il est légal d'épouser une petite fille de 9 ans en Iran. Au Pakistan, cela arrive tout le temps. En 2001, le gouvernement marocain a demandé aux autorités néerlandaises d'abaisser l'âge du mariage, pour les filles, de 18 à 15 ans pour être conforme au droit islamique. [NDLR: En décembre 2004, le Maroc a repoussé finalement l'âge du mariage à 18 ans.]

    Ce qui s'est passé aux Pays-Bas peut-il se produire ailleurs en Europe?
    Bien sûr. En France, par exemple. Mais les musulmans qui pensent comme moi ne parleront plus désormais parce qu'ils ont peur. Je veux faire une exposition artistique sur Soumission avec des mannequins: aucun musée ou galerie n'est désormais prêt à l'accueillir.
    Diriez-vous que l'islam est une religion, une culture arriérée?
    On m'a posé la question en Hollande. Si vous le mesurez à l'aune des valeurs occidentales, oui, l'islam est arriéré. Prenez la place de l'individu par rapport à sa communauté, la place de la femme, la place de la connaissance. Cela relève des faits, pas de l'opinion. D'ailleurs, des rapports sur le monde arabe par les Nations unies le confirment.

    Dans votre livre, Insoumise (Robert Laffont), vous écrivez ceci: «Depuis l'assassinat de Theo Van Gogh, je suis intimement convaincue que la seule manière de formuler mes critiques repose sur une parole libérée.»
    Parler librement est en effet le seul moyen de mettre au jour le fardeau de l'islam, et d'abord pour les musulmans. Plus on le fera, plus on leur permettra de réfléchir sur leur religion - ce qui est tabou dans l'islam. 1,2 milliard de musulmans ne peuvent voir qu'une seule vérité, celle que le Prophète a permise.

    Mais il existe des islams différents, plus ou moins stricts selon les pays…
    C'est une supposition erronée. En Hollande, nous aurions ainsi l'islam des polders, plus consensuel, en Amérique latine l' «islam-salsa», en France un islam… du vin. Ce n'est pas vrai! C'est ce que nous souhaiterions, mais ce n'est pas la réalité. Si on définit l'islam comme la religion fondée par le Prophète et expliquée par le Coran, et plus tard les hadiths, alors il n'y a qu'un seul islam, qui dicte un cadre moral. Cela dit, oui, il y a des musulmans, ici ou là, qui ne veulent pas respecter la totalité des préceptes - les alévis turcs, certains musulmans de France boivent du vin - mais il y a toujours le risque de les voir confrontés à la pression des fanatiques qui les interrogent sur leur observance. Or, ces derniers ne peuvent que gagner, car le Coran est très clair sur les commandements. C'est pourquoi il faut adopter une perspective historique et reconnaître que l'humanité s'est développée et a beaucoup appris depuis le VIIe siècle. C'est à cette condition qu'il y aura un nouveau mouvement.

    L'islam ne connaît-il donc pas d'exégèse et de critique interne?
    Non, à cause de la figure du Prophète. C'est la raison pour laquelle je suis un danger pour ceux qui veulent me tuer. Car, même si je reconnais qu'à l'époque le Prophète a mis fin à l'enterrement des petites filles vivantes, mis en place un système de protection des pauvres, uni les tribus, créé une immense civilisation, je le mets quand même en cause. Or, à leurs yeux, il est le guide moral infaillible.

    Le problème pour vous, c'est l'islam plus que l'islamisme…
    Oui. Le problème, c'est le Prophète et le Coran.

    Il n'y a donc pas de cohabitation possible entre l'islam et l'Occident.
    C'est ce que je dis. Mais la cohabitation est possible avec les musulmans qui peuvent critiquer le cadre moral que la religion leur impose. A tous ceux-là, je lance: «Voulez-vous vraiment suivre intégralement la pensée du Prophète?» Certains musulmans éclairés sont prêts à cette réflexion. C'est ce que je vais dire au recteur Boubakeur, de la Grande Mosquée de Paris. Je ne crois pas en un mouvement qui prétend libéraliser l'islam sans remettre en cause le Prophète et le Coran. C'est absurde. C'est comme redécorer la maison et rester en dehors. La critique de l'islam ne peut venir que des musulmans d'Occident. Car seul l'Occident offre ce contexte de liberté. Si j'avais tenu ces propos dans n'importe quel pays musulman, je serais morte depuis longtemps déjà.

    A la lecture de votre livre, on est frappé par le conservatisme des femmes. C'est votre mère qui refuse que vous alliez à l'école, votre grand-mère qui impose l'excision, contre l'avis de votre père…
    Oui. Parfois, ce sont les sœurs, les nièces qui veillent au respect de ces traditions. Il y a une part de masochisme. Mais aussi de peur. Sortir au grand jour, pour une musulmane, c'est braver les risques de la liberté. Que l'homme - le père, le mari, le frère - veille à votre existence matérielle, c'est très réconfortant, en théorie. Nombre de femmes en Occident veulent, par exemple, chercher leur mari librement, mais elles ne savent pas comment faire et se retrouvent contraintes de retourner vers leur famille, qui peut arranger un mariage.

    Qu'avez-vous pensé en voyant les présumés terroristes aux Pays-Bas remis en liberté?
    En France, vous avez subi de nombreux attentats. Ces épreuves vous ont conduits à mettre en place des tribunaux où les preuves sont présentées aux juges et aux avocats, mais gardées secrètes pour protéger les sources. Nous n'avons malheureusement pas un tel système. Je pense que nous devrions suivre le modèle français.
    Pourquoi avez-vous quitté le parti social-démocrate pour rejoindre les rangs du parti libéral VVD?
    Parce que la gauche est exactement comme les musulmans! Je voulais mettre la priorité sur la défense des femmes immigrées victimes de violences domestiques. On m'a dit: «Non, ce n'est pas la priorité! Ce problème se réglera tout seul quand les immigrés auront des emplois et seront intégrés.» C'est exactement ce que disent les imams qui nous demandent d'accepter aujourd'hui l'oppression et l'esclavage parce que demain, au ciel, Dieu nous donnera des dattes et des raisins… Je crois qu'il faut défendre l'individu d'abord. La gauche a peur de tout. Or la peur de l'offense entretient l'injustice et la souffrance. La révolution sexuelle, l'affirmation des droits de l'individu, l'amélioration des conditions de vie des immigrés ont été les grandes causes de la gauche néerlandaise. A ses yeux, le simple fait d'appartenir à une minorité aux Pays-Bas vous donne tous les droits. Ce multiculturalisme est désastreux. Hurlez à la discrimination et toutes les portes vous seront ouvertes! Criez au racisme et vos adversaires se tairont! Or, le multiculturalisme est une théorie inconsistante: si on veut laisser les communautés garder leurs traditions, que se passe-t-il dès lors que ces mêmes traditions s'exercent au détriment des femmes ou des homosexuels? La logique multiculturelle revient à accepter la subordination des femmes aux hommes. Pourtant, les partisans du multiculturalisme ne veulent pas le reconnaître. Ce qu'ils disent, c'est que les femmes le veulent elles-mêmes. Bien sûr, c'est faux: l'oppression des femmes vient de leur éducation.

    Vous donnez des conseils aux musulmanes qui veulent échapper à l'islam…
    Je leur dis ceci: si vous voulez quitter un milieu familial qui vous refuse l'autonomie, il faut vous préparer à l'épreuve de la liberté. Etre libre, cela passe par des amis, un emploi, un foyer, l'aide des assistantes sociales. Il faut aussi se préparer à se cacher, à vivre seule. C'est le prix à payer pour espérer façonner votre propre vie. Ou alors vous restez l'esclave des traditions.

    A vous lire et à vous entendre, j'ai le sentiment que vous prônez une laïcité de combat…
    L'Occident devrait se comporter avec l'islam comme la France jadis a réglé ses relations avec l'Eglise catholique. La laïcité a l'avantage d'être un modèle très clair, à la fois pour les Eglises et pour l'Etat neutre. Notre système n'est pas clair. Nous avons des partis chrétiens, y compris extrémistes, représentés au Parlement. La Constitution autorise les écoles religieuses et, bien sûr, l'islam tire avantage de cette ambiguïté. C'est pourquoi je soutiens l'interdiction du port des signes religieux à l'école, qui doit être un espace de neutralité. Pour y parvenir, les Pays-Bas devraient changer leur Constitution. Il faut une majorité des deux tiers au Parlement, et la gauche et les libéraux sont d'accord sur le principe.

    Vous allez plus loin en demandant la fermeture des écoles islamiques aux Pays-Bas…
    On ne naît pas arriéré, avec une religion dans la tête. L'école doit avoir pour ambition de préparer les enfants à la vie dans une société moderne, fondée sur l'esprit critique, à un apprentissage de la citoyenneté plutôt qu'à l'appartenance tribale. Le seul moyen d'empêcher des adultes de croire que, hors de l'islam, il n'y a point de vérité, c'est de mettre fin aux écoles religieuses, musulmanes ou chrétiennes.

    Donc, il n'y a pas d'autre option que l'intégration…
    Bien sûr! La religion doit être «privatisée» et les musulmans doivent se soumettre à l'Etat de droit. La pratique des crimes d'honneur, la persécution des homosexuels, les coups contre les femmes, l'excision sont illégales dans une société libérale.

    Vous militez, par exemple, en faveur d'un contrôle obligatoire pour déceler les excisions sur les filles…
    Le Parlement l'a demandé l'an dernier. Le gouvernement a formé une commission qui a rendu un rapport inutile, portant sur la définition de l'excision plutôt que sur les modalités. J'ai dit que c'était insuffisant. Avant-hier, j'en parlais à Waris Dirie, cette ancienne mannequin somalienne devenue ambassadrice de bonne volonté des Nations unies contre les mutilations génitales féminines, qui m'a apporté son soutien.

    Les autorités néerlandaises ont-elles pris position sur la question des écoles religieuses?
    Pour ouvrir une école chez nous, il faut déposer un dossier afin d'obtenir un financement. Le ministre des Finances exige désormais que ces écoles s'ouvrent à des Néerlandais de toutes ethnies, qu'elles enseignent l'Etat de droit et la démocratie libérale. C'est devenu difficile pour ces écoles de remplir ces critères… Nous recensons 42 écoles islamiques et 200 demandes d'ouverture.

    Dans un pays comme la France, la pratique religieuse chez les musulmans est en baisse. Pourquoi ne pas juste attendre une «démusulmanisation» de l'Occident, comme notre pays a connu une déchristianisation?
    Non, non, non! Ce n'est pas assez. Les chrétiens ont arrêté de pratiquer parce qu'ils se sont interrogés sur leur religion. Les musulmans pratiquent moins parce qu'il est difficile de pratiquer l'islam. Essayez de prier cinq fois par jour, pendant une semaine, rien que pour voir! Les musulmans pratiquent moins parce que c'est difficile, pas parce qu'ils doutent.

    Quelle est votre réaction quand vous voyez que les auteurs des attentats commis au nom de l'islam, en Europe ou aux Etats-Unis, ont été éduqués ici?
    Cela infirme la thèse que la pauvreté est la cause du terrorisme. Cela confirme la séduction du message islamiste. Ce ne sont pas les circonstances qui ouvrent la voie au terrorisme, c'est un choix individuel. Aux Pays-Bas, ce sont de jeunes diplômés passés par de bonnes universités, en passe de trouver de très bons emplois, qui sont allés chercher sur Internet le message fondamentaliste et ont cédé à la séduction totalitaire. Il y a des graines de fascisme dans l'islam. Nous devrions comprendre ce processus. Le choix est simple: soit les intellectuels européens ont le courage de défier les dogmes et la doctrine de l'islam, comme l'ont fait leurs prédécesseurs pour le christianisme ou le judaïsme, soit ils sont prisonniers de l'idée qu'une minorité doit être tolérée et abandonnée à son propre sort. Si cette dernière option l'emporte, nous aurons encore plus d'attentats et nous perdrons de jeunes esprits brillants emportés par la folie du totalitarisme.

    Avez-vous le sentiment que le choix se pose aussi clairement dans ces termes pour tous?
    Non. C'est pourquoi je le répète. Beaucoup d'Européens s'interrogent aujourd'hui sur la question de l'islam. N'ayez pas peur de la controverse! L'Europe est un continent bâti sur la controverse. La globalisation fait que nombre de jeunes issus du monde arabo-musulman viendront en Europe, même si vous tentez de les en empêcher. C'est une question de démographie. Et ils reproduiront le système. Nous avons tout intérêt en tant qu'Occidentaux à réformer l'islam.

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