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Spectacles sociaux - Page 36

  • Actualité de l'immonde.

    medium_emeutiers.jpgEn parallèle avec le texte, forcément discutable, de Francis Moury, paru chez le Stalker, trop colérique pour être crédible et dont l'indigne conclusion discrédite l'ensemble, et puisque les commentaires qui n'ont pas manqué se sont déversés dans les miens, voici, pour alimenter le débat, un papier exemplaire paru dans Le Figaro d'il y a quelques jours sous la plume de mon cher Jean-François Mattéi et qui, à mon sens, est la meilleure synthèse sur ces émeutes criminelles dont les bien-pensants habituels voudraient nous faire croire que la responsabilité incombe à tout le monde sauf à ceux qui les font. Je mets entre crochets les deux ou trois lignes qui semblent être mal passées (ou s'être embrouillées) sur le site du Figaro mais qui n'altèrent pas la lecture de l'ensemble.
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    VIOLENCES URBAINES, CRESCENDO DANS LA BARBARIE

     

    Par Jean-François Mattei *
    Les émeutes de Clichy-sous-Bois, depuis le 27 octobre, bientôt étendues à d'autres villes du département mettent en lumière quatre traits accusés de notre société. Dans leur exaspération mutuelle, ils nous incitent à nous interroger sur l'état présent du modèle français qui dérive allègrement vers la barbarie, c'est-à-dire la régression intellectuelle et sociale. Sa spécificité tient à la conjonction de la banalisation de la violence, de la trahison de la langue, du renoncement de l'Etat et de la démission des élites responsables.

    1. La banalisation de la violence : incivilités quotidiennes, violences sur les personnes et les biens, agressions physiques et sonores, trafics de stupéfiants, cocktails Molotov sur les forces de l'ordre, cailloutages des policiers et des pompiers, incendies volontaires, règlements de comptes et assassinats crapuleux : la litanie de la violence s'amplifie à un point tel, dans certains quartiers réputés «difficiles», que l'on ne doit plus parler de guérilla, mais bien de barbarie urbaine. Personne n'ose réfuter les statistiques officielles dont nul n'ignore qu'elles sont sous-évaluées. D'après l'Institut des Hautes études de la sécurité, 31% des violences physiques seulement font l'objet de dépôts de plaintes. Quant aux violences sur les biens, leur étiage est toujours aussi élevé, même si la police se félicite du fait que, dans l'agglomération lyonnaise, 800 voitures seulement ont été incendiées de janvier à septembre, ce qui représente une baisse de 8% par rapport à la même période de l'année précédente. Dans la Seine-Saint-Denis, de 20 à 40 véhicules sont incendiés chaque nuit, et l'on nous annonce que 9 000 voitures de police ont été caillassées depuis le début de l'année.

    2. La trahison de la langue : quand on n'ose plus regarder les choses en face, on prend la parole pour mieux les occulter. Appliquons les modifications du sens habituel des mots aux violences que nous connaissons dans les banlieues urbanisées et en d'autres lieux. On ne parlera plus en France d'«émeutes», mais d'«actions de harcèlement» ; de «délinquants», mais de «jeunes» ; de «policiers», mais de «provocateurs» ; de «trafic de stupéfiants», mais d'«économie parallèle» ; d'«acte de piraterie», mais de «détournement de navire» ou de «récupération de bien national» ; de «zones de non-droit», mais de «quartiers sensibles» ; d'«atteinte au droit du travail», mais de «mouvement de revendication légitime», etc.
    Par peur d'affronter les difficultés de notre société, on n'ose plus appeler un chat un chat et Rollet un fripon, en oubliant que, selon Boileau, on ne peut rien nommer «si ce n'est pas son nom». [«racaille» «tolérance zéro», «ultrarépressif» «volontariste» «martiale». «racaille» «populace méprisable».]
    Mais qui est le plus à blâmer : celui qui est indigne de considération pour ses paroles ou celui qui est digne de mépris pour ses actes ? [signifie, pour le député socialiste qui a consulté son dictionnaire] Faut-il alors ne pas «réprimer» les actes racistes et les exactions antisémites ? Faut-il abandonner dans les domaines du chômage, de la maladie et de la pauvreté toute «volonté» politique au profit d'une aboulie sociale ? Ou devons-nous plutôt respecter, avec la rectitude des mots, la justesse des choses ? Arnaud Montebourg s'étonne que Nicolas Sarkozy utilise des termes dégradants pour ceux à qui ils s'adressent. Mais il ne se demande pas si ces termes conviennent ou non à des trafiquants, des incendiaires et des criminels. [Le mot de et et de sa tonalité ou bien se scandalisent de son discours et de Les beaux esprits s'offusquent lorsque le ministre de l'Intérieur parle de]
    3. Le renoncement de l'Etat : en abandonnant à des bandes organisées ou volatiles le monopole de la violence physique légitime, pour reprendre la définition de Max Weber, l'Etat renonce à exercer sa fonction régalienne comme à assurer la sécurité de ses citoyens. L'Etat de droit se soumet insensiblement à l'état de fait lorsque ceux qui en ont la charge n'ont plus le courage de dire ce qui doit être dit et de faire ce qui doit être fait. C'est ce qu'avaient pressenti aussi bien Hannah Arendt qu'Alexandre Soljenitsyne quand ils considéraient «le déclin du courage» comme le trait politique majeur des sociétés contemporaines.

    4. La démission des responsables : la trahison de la langue et la perte du courage conduisent invinciblement les hommes qui assurent de hautes responsabilités, en d'autres termes les élites proclamées, à se démettre de leur vocation première : celle d'être appelés à répondre de leurs paroles et de leurs actes. En premier lieu, devant les plus faibles et les plus démunis. Or il est irresponsable de continuer à qualifier de «jeunes» ceux qui sont des délinquants, en jetant ainsi l'opprobre, d'une part, sur toute une classe d'âge, d'autre part, sur tous les jeunes gens qui habitent les quartiers pauvres. Lorsque Julien Dray déclare que «des centaines de jeunes» sont victimes de discrimination, et que «ce ne sont ni des voyous ni des racailles», il fait preuve de la même irresponsabilité que SOS-Racisme qui dénonce «l'amalgame fait entre jeunes des quartiers et délinquants». Il est tout aussi irresponsable de minimiser les violences de Clichy-sous-Bois et d'autres cités, en en faisant porter le poids sur un ministre de la République, et non sur leurs auteurs, comme l'a fait un ancien premier ministre de la République en accusant Nicolas Sarkozy d'instaurer «un climat terrible» dans les banlieues. Une marche de 500 personnes, en mémoire des deux jeunes gens électrocutés, à la suite d'un accident, a eu lieu à Clichy-sous-Bois en présence du maire de la commune. On ne sache pas qu'une même émotion ait conduit les habitants d'Epinay-sur-Seine et, plus généralement, les médias à accorder le même hommage au père de famille de 56 ans qui est mort massacré en 90 secondes, sous les yeux de sa femme et de son enfant, à la suite d'un assassinat. Lui non plus n'avait rien à se reprocher, hormis le fait de prendre une photo d'un lampadaire avec un appareil numérique. Il sera mort pour rien, sans susciter de réactions de ces responsables patentés qui ne se sentent, et ne se sentiront jamais, ni responsables ni coupables.

     


    * Philosophe, professeur à l'Institut universitaire de France et à l'université de Nice - Sophia-Antipolis, auteur notamment de "La barbarie intérieure, essai sur l'immonde moderne", PUF, 1999.
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