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critique - Page 18

  • Ma Passion du Christ, "l'intégrale", d'avril 2004 à février 2011

    La Passion du Christ : retour sur un scandale

    (RING 28 février 2011 - reprise des trois textes sur le film de Mel Gibson qui furent ceux par lesquels j'entrai en blogosphère, textes fondateurs en quelque sorte.)

     

    Ecrits en avril 2004, ces trois textes au lyrisme parfois naïf constituèrent mon entrée dans la blogosphère littéraire. Malgré leurs évidents défauts, ils me semblent encore pouvoir témoigner de l’émoi que suscite toujours la tentative de parler du Christ-Roi hors de tout encadrement culturel, critique et athée de rigueur.  Retour sur un ancien scandale qui rendit folle l’intelligensia.

     

    1 - Bonheur à celui par qui le scandale arrive !

     

    Et Grâce soit rendue à Mel Gibson qui a réalisé le plus beau, le plus intense, le plus subtil film sur le Christ jamais fait. En vérité, cette Passion du Christ sera une date dans l'histoire du cinéma, un jalon de l'iconographie chrétienne et un sommet de méditation théologique. A mettre entre Bach, Grünewald et Charles Péguy.

    Quelle inspiration ! divine, à coup sûr. Quand Gibson dit que l'Esprit Saint a accompagné la réalisation de son film, il faut le croire. Ne serait-ce que pour avoir résisté à la terrible cabale lancée contre celui-ci avant même qu'on en ait tourné le premier plan. Pour ceux qui passent leur temps à dénoncer la manipulation exercée par les médias, le lynchage de La Passion du Christ devrait être du pain béni. Hélas ! Dans le cas qui nous occupe, les mêmes qui dénoncent manipulent. Les mêmes pour qui les media mentent mentent encore plus. Rarement, les bras cassés du quatrième pouvoir auront tenté de faire barrage à une oeuvre de cinéma avec une telle violence. Dès sa sortie en France, Le Monde donnait le ton en intitulant son éditorial du 31 mars : "la régression Gibson", avant de donner la parole à Henry Tincq, célèbre "contradicteur"... qui dira la même chose le 2 avril. Dès lors, pétage de plombs dans les salles de rédaction : le film est traité d' "antisémite", de "révisionniste", de "nazi" même : "si les nazis avaient fait un film pour attirer les chrétiens, ils auraient fait celui-ci", disent dans Libération les petites frappes Mordillat et Prieur qui connaissent du christianisme ce que je connais des règles du Base Ball, mais qui sont hélas relayés par le grand Michel Ciment au Masque et la Plume qui prétend, lui, qu'"Hitler aurait aimé" (!!!). Pendant ce temps, Danièle Heymann ordonne, dans Marianne, que l'on est "en droit et même en devoir de détester ce film", tandis que Martin Karmitz fait dans l'ontologie existentielle en parlant dans Télérama d'une "haine de l'humain". Quant à Elisabeth Quin (Elle) et Philippe Azouri (Libération), ils se prennent pour des critiques de cinéma et parlent de la "mocheté" et de la non-cinématographie du film : "Gibson ne contrôle pas une once de grammaire cinématographique et rate tous ses raccords", écrit ce dernier qui ne connaît sans doute des raccords que ceux des Straub-Huillet et de Ed Wood. La palme de l'ignominie revient à l'inrockuptible Frédéric Bonnot qui, encore au Masque et la Plume, compare le film aux attentats de Madrid et traite Mel Gibson de terroriste - comme si, en plus, l'Evangile avait quelque chose à voir avec le Coran... Certes, La Passion du Christ est une bombe, mais une bombe d'amour, de vie et de vérité.

    Tant de haine et de mauvaise foi contre un projet artistique laissent songeur. On n'avait pas vu ça depuis La dernière tentation du Christ de Scorsese. Après les cathos intégristes, voici les athées fondamentalistes !

    Car c'est de la foi, et rien que de la foi, que draine ce film. Pas antisémite pour trente pièces d'argent, La Passion du Christ est en revanche un film anti-athée. Ce que l'on ne pardonne pas à Mel Gibson, c'est d'avoir osé dire que le Christ est le Fils de Dieu, qu'Il a souffert pour nous, que Son sang coule pour le nôtre et que lui, Gibson, y croit, et y croit sans distance, sans critique, sans ironie. Y croit comme on croit à l'amour, y croit comme on croit en son père ou en sa mère, y croit comme on croit en son fils - et Jésus est le Fils de l'Homme.

    Pour le monde contemporain qui ne croit plus en rien, ou plutôt, pour ce que les inquisiteurs contemporains tiennent pour le monde, ce message est irrecevable. Remettre en question le bien-fondé de l'athéisme de masse est un péché laïc mortel. Heureusement, et c'est la bonne nouvelle de tout ce scandale, le monde, qui est moins bête que celui d'Edwy Plenel, passe outre les chevalets et les éditos des journaleux, et fait, pour l'instant, un triomphe au film. Dans les deux salles où je l'ai vu, le public était scotché, hypnotisé par la force de ces images justes - et qui ne sont pas juste des images. Car c'est cela aussi la révolution gibsonienne : contre toutes les suspicions godardiennes, puritaines et protestantes, où l'on se défie de l'image comme du diable, faire de l'oeuvre d'art une édification, considérer l'image non plus comme un simple phantasme subjectif mais comme une icône, et dès lors tenter un art qui se risque à la vérité.

    Est-ce si honteux ? Pendant des siècles, le rôle de l'art fut de restituer le réel et de convertir à la vérité. Abel Gance lui-même disait qu'il rêvait d'un film qui changerait la vision du monde à celui qui le verrait. Le film de Mel Gibson appartient à cette catégorie. On en sort transfiguré.

    Beaucoup d'entre nous ont applaudi à la fin, le coeur chaviré de joie. Sauf à considérer que le monde entier est sadique et va voir le film de Gibson pour se repaître de sang et de violence, et, même si c'était le cas, il semble que cela soit le contraire qu'il trouve : cette Passion, si insoutenable parfois, irradie la paix, l'espérance et la joie.

    C'est cela le miracle du film de Gibson - l'un des plus beaux du monde, je vous assure- montrer l'amour de Dieu contre la haine du monde. Opposer la souffrance du Christ à la violence des hommes. Qui serait assez tordu pour prendre plaisir à Sa flagellation ? Je crois que dans ce film, nous sommes comme Marie et Marie Madeleine, nous suivons en pleurant le calvaire de notre fils ou de notre ami ; et si nous ne voulons pas être mêlés à cette affaire, nous sommes alors comme Simon de Cyrène, forcés de porter la croix et finalement bouleversés par le visage de Celui qui va y être cloué. Et puisque l'on a tant parlé d'antisémitisme et de régression théologique, est-il antisémite et régressif ce plan saisissant où l'on voit Simon (qu'un romain a traité de "juif") épauler Jésus et porter la croix avec Lui ? A moins d'être aveugle, comment ne pas y voir la réconciliation du juif et du chrétien portant le même bois de supplice ?

    La Passion est parsemée de ces moments d'amour et de fraternité entre le Christ et les hommes et ce sont ces épisodes qui émeuvent aux larmes : voyez, dans la scène chez Hérode, le regard que Jésus échange avec l'esclave noir - le seul qui ne se moque pas de Lui et comprend que cet Homme vient apporter l'égalité entre les hommes. Ecoutez Jésus sur la montagne expliquant au peuple qu'il faut aimer ses ennemis, car il est si facile d'aimer ceux qui nous aiment (et Jim Caviezel, chaleureux Christ plein de force tranquille, est merveilleux de simplicité et de conviction dans cette scène - avec même une pointe d'humour...). Comme elles sont présentes, ces phrases de l'Evangile, et comme il faut avoir de la merde dans les oreilles pour ne pas les entendre et prétendre, comme l'ont dit tous ces sourds-aveugles de critiques, que Gibson avait empêché la Parole de Dieu ! Au contraire, ni Pasolini, ni Zeffirelli, ni Scorsese ne mirent  en scène le Verbe avec autant de ferveur et d'intelligence que Gibson. Ecoutez Jésus, couché sur la croix tandis qu'on va percer Ses pieds, murmurer : "ils ne savent pas... ils ne savent pas... ils ne savent pas."

    Alors, la violence, les coups en permanence, les fouets qui arrachent des lambeaux de peau, les clous que l'on enfonce, la croix que l'on retourne pour retourner les clous... Terrible, évidemment. Et pourtant, je défie quiconque d'y voir une once de sadisme. C'est que, comme l'a dit Jean-Paul II, cela n'a pu que se passer que comme ça. En vérité, cette souffrance-là est sacrée, tout le monde le sent. Ce n'est pas un homme qui souffre, mais un Dieu. Et ce Dieu semble, c'est le cas de le dire, surhumain, impossible à affaiblir, supportant tout pour nous et plus que nous pourrions, nous, en supporter. Au risque de forcer la Vision, on pourrait dire que si le Christ souffre pour nous, Il ne souffre pas pour Lui, et s' Il ne souffre pas pour Lui, alors Il ne souffre pas. Au fond, seule la culpabilité fait souffrir. L'enfer, ce n'est pas la croix, mais la mauvaise conscience, celle de Judas ou du second larron. Pur de tout péché, incapable de haïr et de se haïr, le Fils de Dieu n'a que faire des supplices des hommes. Ainsi, peut-Il résister indéfiniment à ce qui nous aurait fait périr depuis longtemps - et c'est ce qui rend le film supportable et lui donne toute sa spiritualité : cet homme que l'on flagelle à mort et qui ne meurt pas (regard ahuri des soldats romains, en nage d'avoir tant fouetté ce type qui leur paraît invincible), cet homme qui porte une croix trop lourde pour n'importe quel autre homme, cet homme qui choisit librement de donner sa vie ("personne ne prend ma vie, c'est moi qui la donne"), qui choisit même l'instant de sa mort ("Père, en tes mains, je remets mon esprit"), cet homme, en effet, est un dieu.

    Voyez, à côté, les larrons. Eux sont plus pénibles à regarder, eux, pauvres hommes pitoyables au corps blanc, mais plus douloureux que le corps rouge de Jésus. Eux, comme nous, souffrent sans dépasser leur souffrance.

    Probité de Gibson : deux heures de calvaire d'un homme "normal" auraient été insoutenables, douteuses et inutiles, alors que si l'on admet que Jésus est bien le Fils de Dieu, cela pourrait durer douze heures non stop sans que l'on ressente autre chose que de la compassion. "Ce Jésus-là est bien trop divin pour qu'on se projette sur lui", écrivait une internaute sur un forum consacré au film. Eh oui par Dieu !, ce Christ-là n'est plus la chochotte velléitaire et neurasthénique de la Dernière Tentation scorcésienne. Encore moins, le gentil curé social type abbé Pierre qui fait des pétitions pour les sans papiers. C'est un Christ mystique et métaphysique qui vient nous délivrer de nous-mêmes et de l'enfer dans lequel désormais il n'y aura plus personne, sauf le diable (quel plan fulgurant !). Le Christ éternel et inactuel, qui souffre à la fois plus et moins que nous, le Christ Sauveur qui, même lorsqu'Il lance le psaume 22, le fameux "Eli, Eli, lema sabachthani !", le lance non pour Lui mais pour nous. Nous, larrons, juifs, romains, traîtres, renieurs, athées, mauvais croyants, faibles, bourreaux, humains trop humains. Il parle à notre place : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi nous as-tu abandonnés à nous-mêmes ?"

    Alors Dieu pleure. Le Père pleure. Il fallait oser ce plan sublime de la prise de vue qui se transforme en larme et qui tombe du ciel. L'orage éclate. La terre se met à trembler. Le temple se casse en deux - et Caïphe commence à comprendre.

    Retour au Golgotha. Descente de la croix. Sur une pierre, les clous et la couronne d'épines retirés, un morceau de bois de la croix - les futures reliques. Un frisson dans la salle.

    Après les pleurs du Père, l'affliction de la mère. Marie prend Jésus contre elle. Fixe dans les yeux le spectateur. La caméra recule doucement et l'on voit la main de la mère sur le coeur du fils mais une main ouverte, tendue vers nous, comme si... Mais oui, c'est cela : la Mère nous propose le Fils.

    A nous de L'accepter.

    De toutes façons, le tombeau s'est ouvert....


    2 – « Cela a dû se passer comme ça »


    "Les vrais chrétiens ont réalisé ce triomphe de la chair martyrisée", me disait par émail une amie catholique après la projection du film de Mel Gibson.

    Il y a quelque chose qui se passe avec La Passion du Christ, quelque chose de bizarre entre ceux qui aiment ce film et ceux qui refusent de le voir, qui refusent même d'en parler, qui le fuient comme Caïn fuyait Dieu.

    C'est la chère Frigide Barjo qui me racontait la dernière fois qu'elle était dans un bar parisien, et alors qu'elle était en train de faire l'apologie du film de Mel Gibson, une femme s'est levée, lui a jeté un "je ne parle pas avec quelqu'un comme vous" et a quitté la place, une pétition dans les yeux. L'autre jour, où je dînais chez ma soeur en compagnie de nos amis gauchistes et où je comptais, bien entendu, faire mon dithyrambe christo-gibsonienne, c'est presque si l'on m’a interdit d’en parler. "Tu ne comptes pas quand même aborder ce sujet ?", m'a même répliqué une vieille copine comme dans cette célèbre illustration de l'Affaire Dreyfus "ils en ont parlé." Oh que si, bien sûr, nous en avons parlé, et tant pis pour le tapage !

    Mais tout de même, tant d'animosité à l'égard d'un film, un tel refus de communiquer, et cette façon incroyable de se boucher les oreilles ou de se cacher les yeux, en criant "facho, facho, facho" comme Caïphe criait "crucifie-le, crucifie-le, crucifie le !" ne laisse pas d'interroger. Quelque chose se passe avec ce film, quelque chose qui ne passe pas.

    Et je crois que c'est la foi chrétienne. Si ce film apporte le glaive, c'est bien celui qui existe entre croyants et non-croyants.

    Bien entendu, on dira que la foi est largement admise au sein de nos sociétés, et que ma foi, si un peu de foi peut faire du bien, pourquoi en priver les braves gens ? A condition, bien sûr, que cette foi reste privée, ne fasse pas de bruit, et se passe dans le secret. Bref, on admet la foi comme une gentille superstition qui aide à vivre, un TOC de l'âme sympa, quelque chose qui dans tous les cas ne doit pas participer aux relations sociales et encore moins influer la vie de la cité (rappelez vous le raffut causé par Christine Boutin qui avait osé exhiber une Bible au parlement).

    De même, une oeuvre d'art qui traiterait de la foi devrait le faire en sourdine, et surtout en tenant bien la distance critique qu'il convient d'avoir sur ce sujet. Comme l'a dit Régis Debray dans Arrêt sur image sur le ton de celui qui ne sait pas de quoi il parle, la spiritualité n'a droit d'existence qu'à travers "la suggestion, le souffle, le furtif, l'absence, le symbolique". Pour lui comme pour la plupart des intellectuels de la religion (Frédéric Lenoir and co), le divin doit s'exprimer dans une intériorité purement subjective, sans aucun lien avec la réalité, et qui du coup se dissout dans sa propre représentation. Dieu n'est qu'une invention de l'homme, une belle invention qui peut rendre moraux ceux qui y croient, mais pas plus.

    Mais a-t-on le droit de le représenter ? oui, mais à la condition de ne rien montrer de substantiel ou de charnel, car cela pourrait mettre à mal celui qui n'y croit pas et au fond, la seule chose qui importe est de ne pas déranger ce dernier. Bref, faisons des représentations du Christ culturelles, mais certainement pas cultuelles. Ainsi, tout le monde sera content, l'athée qui n'y verra qu'une belle illusion éventuellement structurante (pour les autres, pas pour lui), et le croyant qui pourra toujours y croire, puisque la foi est intérieure et peut se contenter d'invisible.

    Et les critiques de rappeler que les plus beaux films de spiritualité sont ceux qui rendent compte de la présence de Dieu par son absence, comme Thérèse d'Alain Cavalier, ou certains films de Godard dont "la façon de filmer le ciel est comme une prière d'invisible proximité", bref tous les films dont on est sûr que leur auteur soit athée, anticlérical, marxiste, anti-chrétien. Par contre, un croyant fervent, comme Mel Gibson, ne peut faire qu'un film obscène, qui rate atrocement le divin, et "risque de faire disparaître encore un peu plus le peu de spiritualité qu'il reste" (Debray)

    Cher Régis Debray, vous étiez plus inspiré par le Che que vous ne l'êtes par le Christ. Chez Schneidermann, vous n'avez parlé que de symbolique, de subjectivité, d'absence, mais vous qui avez publié de si gros livres sur la religion, n'avez-vous jamais été effleuré par l'idée que pour les croyants, les chrétiens en l'occurrence, cette histoire était vraie au delà du symbole ? Vraie au sens de la chair et du sang ?

    Que vous n'aimiez pas ce film, c'est votre droit le plus strict, mais n'allez pas dire avec votre compère Michel Kubler de la Croix, que c'est un film qui "déspiritualise", n'allez pas parler à la place des croyants, vous qui ne l'êtes pas. Moi qui le suis, j'ai trouvé justement qu'aucun autre film n'avait atteint cette réalité spirituelle et ce débordement de sens.

    C'est peut-être un problème de style. Pour ma part, je trouve qu'il y en ras-le-bol du vide et de l'absence, du dieu caché et symbolique, du voilé et de l'invisible. Avec Gibson, nous avons du plein, du trop-plein même, de la Présence en chair et en os, de la divinité flamboyante et baroque ! Nous avons la Croix dans toute son horreur et dans toute sa splendeur ! Nous avons la souffrance de Jésus et la gloire du Christ-Roi ! Enfin !

    Cela vous gêne ? Reconnaissez quand même que le problème esthétique que pose ce film est en effet passionnant et on aurait pu espérer qu'un type comme vous qui s'intéresse aux images l'ait perçu. Mais non, englué dans vos préjugés artistiques, vous avez dit, avec tous les autres (cf Cahiers du cinéma), que l'obscénité formelle de Gibson avait consisté à mettre le naturalisme au service du surnaturel "et que cela ne pouvait pas marcher." Eh pourquoi mon Dieu ? C'est une riche idée au contraire et qui marche bien mieux que vous ne le pensez. Faire le plus réaliste possible pour l'histoire la plus irréaliste possible. Arriver à rendre ce que Claudel (qui aurait adoré ce film) appelait "le sentiment physique du surnaturel", c'est prodigieux sur le plan artistique. Du (presque) jamais vu.

    A ma connaissance, seul L'exorciste de William Friedklin avait été filmé comme ça, mettant le clinique au service du mystique, car, comme par hasard, il s'agissait aussi d'un film sur la foi et le pouvoir de Dieu - et c'était tellement convainquant qu'on pouvait penser que c'était le Vatican qui subventionnait Friedklin !

    Non, ce qu'a fait Gibson est unique et c'est pourquoi je redis que l'Esprit Saint devait être dans le coup, pas possible autrement. La Passion du Christ est une grande oeuvre d'art et une expression fort inspirée de la Vérité.

    Pour nos modernes qui se foutent de l'art et de la vérité, il est impensable de faire l'un avec l'autre. "C'est soit un documentaire, soit un film d'auteur, mais il faut choisir !", beugla Michel Kubler de la Croix à Arrêt sur image. T'énerve pas, gars, on peut faire les deux. Le grand artiste vise le style en même temps que le réel, et ne se contente pas que l'on dise de son oeuvre qu'elle est une simple vue de l'esprit, ou pire qu'elle est "intéressante" - là, il en dégueulerait. Le grand artiste n'a que faire de la culture. Il veut changer la vision du monde. Il veut à la fois plaire et faire violence au public.

    Quand Bosch faisait son Jardin des Délices, ce n'était pas pour faire de l'illustration culturelle destinée aux conservateurs de musée, c'était pour bouleverser les ouailles, émouvoir et faire croire. Et quand Dostoïevski va se recueillir devant le retable de Grünewald, il n'est pas à se demander comme Kubler ou Debray si ce qu'il regarde est subjectif, objectif, phénoménologique, et surtout conforme à ce que l'on dit dans Télérama. Il adopte la seule attitude acceptable pour un artiste, admirer, pleurer et croire : "c'est beau, c'est vrai".

    Au fond, ce que l'on reproche à Gibson, c'est son innocence. Avoir oser mettre en scène une Passion du Christ en faisant fi de toute l'idéologie contemporaine faite de scepticisme et d'ironie vis-à-vis du sacré. Cette innocence nous a renvoyé à notre néant, nos ricanements de désespérés, notre culpabilité d'aveugles.

    D'où ce déchaînement de puritanisme que l'on a vu dans les média et qui ne laisse pas d'être troublant. Il ne fallait pas montrer ça. "Obscène", "sadomaso", "voyeuriste", "pornographique", encore un peu, et ils disaient "blasphématoire", les pasteurs médiatiques. Au fond, ce que La Passion du Christ a révélé, c'est que notre monde ne pouvait plus supporter les images, et qu'une représentation trop crue et trop sacrée de la réalité devenait à la lettre ob-scène - hors de la scène.

    Pas étonnant que Régis Debray ait fini par dire que ce film donnait envie d'être protestant, juif ou musulman tant la représentation de Dieu ne pose dans ces religions aucun problème... vu qu'elle y est prohibée. Extraordinaire preuve de puritanisme et qui apporte la preuve de ce que veulent faire du monde les puritains : un lieu où le corps serait une ombre, où l'âme serait un vase vide, et où l'esprit se confondrait avec une loi autoritaire.

    Et c'est pourquoi le film de Gibson est grand. Ce "triomphe de la chair martyrisée" lacère nos âmes mortes, mais pour les rendre à la vie. Oui, ce film est bien de l'Esprit Saint.

    PS : rendons grâce à Daniel Schneidermann d'avoir été l'un des rares à comprendre l'envergure de la vision gibsonienne. Dans un bel article de Libération du 02 avril, intitulé "Cette satanée compassion", il insistait sur le mérite pédagogique du film : nous replonger au coeur de l'originalité du christianisme qui, par rapport aux religions païennes, a inscrit le lynchage au centre de notre culture, mais du point de vue du lynché.

    "Que nous soyons croyants ou athées, de cette religion ou d'une autre, cette image du Supplicié titubant sous la foule, cette image déforme, oriente, colore depuis bien avant notre naissance notre vision du monde. Obsédante ou discrète, trônant en majesté au centre de la demeure ou tapie dans un obscur recoin de l'esprit, Cendrillon ou matrone, la compassion est là, elle oriente nos réactions, nos visions. Cet Ecorché de Gibson, même si on le refoule, même si on l'ignore, même si on l'oublie : peu importe, il est en nous."

    3 - Pour en finir avec Mordillat et Prieur


    Ah là là... ce qu'ils ont dû souffrir ces deux là depuis une semaine ! Tant d'efforts pour briser le christianisme et voilà que le christianisme les brise, par un film hollywoodien en plus ! Salaud de Mel Gibson qui ose filmer l'Evangile à la lettre et dans l'esprit, et réaliser un chef-d'oeuvre cinématographique et théologique, qui du coup rend caduque des années de révisionnisme chrétien (ce que ne sont rien d'autre que Corpus Christi, et maintenant Les origines du christianisme). Pauvres Jérôme et Gérard ! Tous ces gens qu'on avait cru convaincre sur Arte, que Jésus n'était pas Jésus, que les Evangiles n'avaient pas été écrits par les évangélistes, que l’antisémitisme était la seule mauvaise nouvelle de ces écrits non écrits,  que toute cette histoire n'était pas vraie car en vrai elle était fausse, et qui se précipitent au cinéma applaudir un méchant film qui dit rien qu'on a tort ! Ouh, ingrat public qui ne nous écoute plus ! C'est dur d'être inquisiteur médiatique à l'époque de La Passion du Christ.

    Il est vrai qu'ils s'y sont assez mal pris, les frères Mordillat et Prieur, à dire tout et n'importe quoi. Ainsi, quand ils reprochent à Mel Gibson d'avoir fait un film ultraviolent et racoleur, mais rajoutent en même temps qu'une vraie crucifixion se faisait à poil et que "le condamné se pissait et se chiait dessus, vomissait..." (Libération, 31 mars 04) Heureusement que vous êtes là pour nous éclairer, les gars... En voilà, de la vraie, de la bonne, de la pure pensée gauchiste : trop de sang, mais pas assez de caca !

    Ridicule aussi votre insistance à nous rappeler que Jésus était juif : "Il ne faut pas craindre de le répéter, de le dire, de le redire, de le dire autant de fois que nécessaire, tant ce qui est pour nous une affirmation historique incontestable : JESUS ETAIT JUIF...." ("Pour en finir avec Mel Gibson", Libé du 07 avril 04) et que si Gibson avait été honnête, il aurait dû montrer le Christ nu et circoncis. Mais oui, les gars, ne vous vous énervez pas sur le prépuce. Nous les chrétiens, c'est ce que nous apprenons au catéchisme le premier jour que Jésus était Juif. Si vous voulez un conseil, c'est aux Juifs qu'il faut répéter ça. Car, pour eux, ce Jésus Juif était un drôle de Juif : contre les grands prêtres, contre la Loi, contre le Sabbat, voilà un Juif qui n'arrêtait pas de dire des trucs anti-Juifs. Pas étonnant qu'ils l'aient fait tuer. Car, au fond, cette histoire, c'est bien des Juifs qui se débarrassent d'un autre Juif, non ? Où est l’antisémitisme dans ce cas ?

    Il y a pourtant un passage magnifique dans votre article, un paragraphe fabuleux qui exprime exactement le sens du film de Gibson, sauf que vous, cela vous fait vomir, et que moi, cela me fait vibrer. Mystère des monades qui expriment le même monde mais non le même point de vue. Etre absolument d'accord sur la chose qui nous sépare absolument.
    C'est quand vous parlez de ce supplice trop grand pour un homme normal :

    "Supplicier sans fin ce corps, et ici au-delà même de la vraisemblance physiologique, au-delà même de tout réalisme, c'est défigurer la victime, ce que les nazis voulaient faire dans les camps, c'est aussi chercher à réussir une autre opération. Le corps martyrisé, tuméfié, lacéré, scarifié, maquillé du Jésus gibsonien est un leurre : c'est le prix à payer pour que soit effacé le corps d'homme et de juif et qu'advienne à sa place un corps divin, un corps universel."

    Mais oui, les gars, c'est exactement ça. Comme vous le dites bien, il fallait supplicier ce corps jusqu'à ce que l'homme disparaisse et que le dieu apparaisse. Tout le Christianisme est là, dans cet excès de souffrance et de résistance, de défiguration et de transfiguration. Et c'est pourquoi Gibson a tant insisté sur la Flagellation, scène surnaturelle et sublimement mise en scène, pour bien montrer qu'à ce moment, le Fils de l'Homme laisse la place au Fils de Dieu et qu'Il est invincible, infini, universel. Comment osez-vous dire, après ça, que le film manque de spiritualité ?! Il en déborde au contraire.

    Mais revenons à votre travail. Le problème, voyez-vous, est que tout en prônant l'exégèse scientifique la plus rigoureuse, vous avez fait dans l'idéologie la plus douteuse. En fait, vous vous êtes trompés de méthode. Auriez-vous eu une approche plus philosophique qu'on ne vous aurait pas soupçonné de malhonnêteté intellectuelle. Nietzsche, qui s'y connaît en Antéchrist, vous aurait aguerri. Sade, qui a écrit dans la Philosophie dans le boudoir la parodie de l’Evangile la plus drôle du monde, vous aurait soutenu. Là, nous aurions pu discuter. Mais non, vous avez voulu faire de votre débat idéologique un constat scientifique, et ce faisant, vous êtes apparus comme deux clercs hypocrites et sournois, bandant sous cape à l'idée de démolir le christianisme.

    D'autant que vous avez trop répété que la seule méthode d'approche des textes était celle qui oscille entre le doute et le scepticisme. Tout est obscur dans cette histoire et l'on ne peut être sûr de rien ! "Nous avons acquis une seule certitude : quand quelqu'un pense avoir trouvé la clef qui explique tout, on peut être certain qu'il se trompe. Nous y compris", déclarez-vous sans rire dans le Télérama du 24 mars 2004.

    Allons, pas de blagues messieurs. Toutes vos émissions tournent autour de l'idée, fondamentale pour vous, que c'est le Nouveau Testament qui contient en germe tout l'antisémitisme du monde. Vous qui doutez de tout, vous ne doutez pas de ça. Elle est là, votre "clef" : semer un doute hyperbolique concernant l'Evangile, tout en assénant, en même temps, la certitude de l'antisémitisme du même Evangile. Vous faites de même avec les Epîtres : on ne sait pas très bien ce qu'a voulu dire Saint Paul, plein de contradictions et de beautés littéraires (car, évidemment, tout le christianisme, selon vous, c'est de la littérature), mais on sait par contre qu'il y a une ligne évidente, irréversible et indiscutable entre lui et Hitler. Et là, ce n’est plus littéraire, c’est historique !

    D'abord, comme vous l'a rappelé Gérard Leclerc dans l’émission de Franz-Olivier Giesbert, il ne faut pas confondre l'antijudaïsme, qui provient du conflit juifs-chrétiens sur la Révélation et qui est, comme on dit, une affaire de famille, puisque les chrétiens ne sont que des juifs qui reconnaissent Jésus comme le Messie, avec l'antisémitisme moderne, aux prétentions scientifiques, racialistes et biologiques, qui naît au XVIIIème siècle et dans lequel puiseront les nazis pour rationaliser leur solution finale. Evidemment, entre l'antijudaïsme théologique des chrétiens et l'antisémitisme biologique des philosophes se tisseront, pour les racistes du monde entier, d’évidents liens pathologiques, et l'on en viendra alors à mettre sur le même plan une rupture historique intra-confessionnelle et par laquelle est sortie une nouvelle religion (le christianisme) et une politique d'extermination (le nazisme).

    Dès lors, il ne sera plus possible, au nom de la Shoah, d'établir la vérité du christianisme par rapport au judaïsme. Comme l'a dit si fortement Bernanos, "Hitler a déshonoré l'antisémitisme." Affirmer Jésus comme Fils de Dieu, c'est rompre avec les Juifs qui ne l'ont pas reconnu ; et rompre avec les Juifs, simplement sur ce point théologique, c'est historiquement se rendre complice de leur extermination, ou au moins relativiser leurs souffrances. Car ce qui change aussi avec la Shoah, c'est que la grande souffrance du monde, désormais, ce n'est plus celle du Christ, mais celle des Juifs, et une souffrance qui, surtout, surtout, surtout, ne doit pas être rachetée par celle du Christ - une souffrance qui est trop sacrée pour pouvoir être mêlée au Calvaire. Jésus est mort pour tous nos péchés, sauf pour celui-là. Autrement dit, il est mort pour rien. Autrement dit, sa Passion n'est plus sacrée. Auschwitz l'a emporté sur la Croix.

    C'est donc bien cette théologie moderne que le film de Mel Gibson vient de faire voler en éclats et qui lui vaut ce boycott grotesque et ignominieux.

    Il faut tout reprendre à zéro : - La Passion du Christ est-il un film antisémite ? - Bien sûr que non, sauf si l'on considère, comme Mordillat, Prieur et tous leurs sbires, que c'est l'Evangile qui l'est. - Mais justement, que dit l'Evangile ? - Eh bien, que Jésus est venu sauver tous les hommes par sa mort. - Mais qui l'a tué ? - Politiquement et techniquement, les Romains qui seuls avaient le pouvoir de la justice et qui l'ont crucifié, conjoncturellement, les Juifs de l’époque qui l'ont livré aux Romains, réellement et moralement, tout le monde, depuis hier à aujourd’hui. - Mais vous êtes antisémite si vous dites ça ! – Quoi ? La conjoncture ? – Ben oui, ça craint. - Pas du tout. Allez leur demandez. - A qui ? Aux chrétiens ? - Mais non, aux Juifs. - Leur demander quoi ? - Ce qu'ils pensent de Jésus, voyons. - Et ils pensent quoi ? - Eh bien, que c'est encore et toujours un imposteur. - Mais ils ont parfaitement le droit de penser ça ! - Parfaitement le droit. - Leurs ancêtres disaient la même chose ! - Vous commencez à comprendre. - Comprendre quoi ? - Eh bien, que les juifs, aujourd'hui comme hier, se seraient bien passés de Jésus, qu'ils le refusent tout autant qu'il y a deux mille ans, et que le christianisme n'est pas plus antijudaïque que le judaïsme est antichrétien. - Mon Dieu, mais alors, rien n'a changé ? - Rien. - Mais dans ce cas, c'est horrible, car cela veut dire qu'ils sont toujours le peuple déicide et que le sang du Christ n'en finit pas de leur tomber dessus. - C'est en effet ce qu'ils ont dit et qu'on lit dans saint Matthieu, XXV, 27, la fameuse phrase, "que son sang retombe sur nous et nos enfants", que Mel Gibson n'a pas fait traduire dans son film. - Et vous, ça ne vous gêne pas que les Juifs soient toujours les maudits de Dieu ? - Saint Paul a écrit des Juifs : "...eux qui ont tué Jésus, le Seigneur et les prophètes, eux qui nous ont persécutés, qui ne plaisent pas à Dieu, qui sont hostiles à tous les hommes, qui nous empêchent de prêcher aux païens pour les sauver. Ainsi comblent-ils sans cesse la mesure de leurs péchés ; mais la colère a fondu sur eux pour toujours" (Thessaloniciens Un, II-15.) - Et vous trouvez que ce texte répugnant, antisémite, abject de haine et de vengeance doit servir de référence ???? Prieur et Mordillat ont mille fois raison ! - Saint Paul a aussi écrit dans l'Epître aux Romains, XI, 11: "Je le demande donc : [les Juifs] ont-ils trébuché, afin de tomber pour toujours ? JAMAIS DE LA VIE ! Mais leur chute a été le salut pour les païens, afin d'exciter leur jalousie. Et si leur chute a été une richesse pour le monde et leur déchéance une richesse pour les païens, QUE NE SERA PAS LEUR RETOUR EN MASSE ? (...) Car si leur rejet a été une réconciliation pour le monde, que sera leur réintégration sinon un retour à la vie d'entre les morts ? (...) car Dieu est assez puissant pour les greffer à nouveau [dans la nouvelle Alliance]" – Le salut par les Juifs, quoi, façon Léon Bloy ? - Ca vous fait peur ? –  Je m’interroge surtout sur ce que cela veut dire. - Cela veut dire que, pour saint Paul, ce sont les Juifs qui vont sauver le monde. Cela veut dire que s'ils ont été élus, puis abandonnés, ils vont être réélus et ce sera par eux que reviendra la Grâce. - L'apocalypse et tous ces trucs ? - Oui. - Le retour du Christ ? - Oui. - Ce sont les Juifs qui vont le reconnaître ? - Oui. - Et tout le film de Gibson vous a fait penser à ça ? - Oui.

    Pierre Cormary

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