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Icône haut du lit
(Réflexions sur l’image à propos de Au fond des images, de Jean-Luc Nancy, Galilée, 2003)
L’image a mauvaise presse. L’image copie. L’image pille. L’image pile. L’image ment. L’image vend. L’image est toujours de consommation et d’aliénation. Quand elle n’est pas de propagande et mensonge. Triomphe de la Volonté et Cuirassé Potemkine. L’image manipule. L’image pullule. L’image pue. L’image tue. L’image prostitue. Pornographie et jeux vidéos hyper violents. Déréalisation des désir et des corps. Arraisonnement intégral. Société du spectacle. Caverne.
Contre elle, une seule résistance. Le verbe. Divin. Sacré. Sérieux. Et la tentation puritaine : « tu ne feras pas d’image de ton Dieu ». Ni de tout le reste. Tu écriras ou tu dicteras des livres, mais tu ne feras pas que le lu soit vu. Homère était aveugle et c’est une bénédiction.
Et pourtant…. L’image est érogène – c’est même sa définition : une image est désirable ou n’est pas. L’image excite. L’image imprime. L’image retient. L’image est un monument aux morts. L’image immortalise. Du fond des images, la mort nous dévisage. L’image nous fait comprendre la mort et la vie. L’image est une prise de conscience de la mort et de la vie, et aussi du vrai et du faux. L’image nous apprend à y voir plus clair. L’image se dénonce elle-même. L’image est un simulacre qui se donne comme tel. Les catholiques l’ont bien vu. Crèche. Rois (i)mages. Encens, myrrhe et or. Seuls les puritains n’y voient rien. Seuls les puritains ne suivent pas l’image qui suit tout.
L’art est iconodule. L’Occident aussi. Le Christ aussi. Moi aussi. Icône haut du lit.
Avec Jean-Luc Nancy, distinguons.
L’image est toujours sacrée car l’image est toujours séparée. Le sacré sépare. Le religieux lie. L’un et l’autre s’opposent, l’un et l’autre s’unissent. Le religieux rend présent le sacré. Le lien exprime le séparé. Paradoxe, donc orthodoxie.
L’image est distincte de la chose qu’elle représente. Le distinct, selon l’étymologie, c’est ce qui est séparé par des marques – et des marques violentes des marques au fer rouge, des tatouages, et plus intéressants, des stigmates. L’image est stigmate. Ca saigne, mais l’on ne sait pas de quoi, d’où, et comment. Ca saigne sans faire mal. Ca saigne d’ailleurs. Du Christ, certainement. Du sang, mais donc aussi du rouge. Du rouge sang. Du Rubens. De l’art. L’art, stigmate du réel. Autrement dit, quelque chose de faux (le rouge et la toile) qui renvoie à quelque chose de vrai (le sang et la vie). L’art comme ce qui se distingue du réel mais qui en même temps exprime l’intensité de ce réel – et parfois apparaît plus réel que le réel. « C’est drôle comme les couleurs de la vie paraissent toujours plus vraies au cinéma », disait Alex enchaîné à son fauteuil.
Incroyable paradoxe d’un trait qui trace et se retire en même temps. Qui force et qui s’écarte. Incroyable paradoxe de l’image qui relève à la fois du sacré et du frivole, de l’éternel et de l’éphémère, du bandant et du stérile. Avec le risque que je confonde le retrait et le réel et que cette confusion profite au retrait. Cette image de femme m’excite comme cette femme réelle – et peut-être même plus. Beaucoup plus. L’image non seulement comme un faux qui renvoie à un vrai mais comme un faux qui provoque le vrai. Pourtant, quand on regarde à la télé Maïté couper des oignons, on ne pleure pas – alors que quand on regarde le porno de Canal +, on bande. Pourquoi ?
L’image est mentale. Le mental est un écran sur lequel défilent toutes les images du monde. Imparable. L’image monte en moi puis disparaît – comme le diable qui ne reste jamais jusqu’au bout. L’image me fait croire que je ne suis pas seul dans ma nuit. L’image me fait oublier ma nuit. L’image me rassure et en même temps me retire peu à peu de ce qui n’est pas elle. L’image est un faux sacré qui me fait faire de vrais sacrifices.
L’image comme une distance qui s’approche au plus près, comme un retrait qui fait trait, comme un vide qui remplit. « Ce qui touche, c’est quelque chose d’une intimité qui se porte à la surface. » Femme au portrait. Laura. Vertigo. Vidéodrome. Mullholand Drive. Impossible d’ y résister. Trop intime. L’image agit comme mon intimité. L’image me fait entrer dans un monde en même temps que je reste devant lui. A moins que je n’y tienne plus et que je sois happé par les lèvres gigantesques de mon écran de télévision comme James Woods.
L’image vient d’ailleurs, disions-nous. L’image vient du ciel. Du ciel en tant que « sky » plus qu’en tant qu’ « heaven ». L’image est son propre ciel. L’image tire le ciel de la terre, et même de la matière. L’image fait de l’écran un ciel et des pixels des anges. L’image m’emmène au ciel. L’image m’emmêle au ciel.....
LA SUITE DANS LES CARNETS DE LA PHILOSOPHIE DE LA SEMAINE PROCHAINE.....