A Basile de Koch, qui m’a fait découvrir Chesterton, ce jalon essentiel du génie du catholicisme, il y a déjà si longtemps.
C’est l’essai antimoderne capital pour qui veut comprendre le monde moderne. C’est le manuel de catéchisme le plus stimulant jamais écrit - qui fait de la théologie un conte de fée et du conte de fée un dithyrambe du réel. C’est la plus grande et la plus belle apologie du catholicisme de tous les temps - qui redonne le goût de la vérité et réhabilite l’intelligence de l’inquisition. « Après trois pages de Chesterton, le sang et les idées circulent mieux », disait de lui André Maurois qui l’aimait tant. Comment résister aussi à cette incroyable éloquence qui vous fait vous étonner devant le monde comme aucun philosophe n’avait pu le faire ? Qui ré-aiguise votre perception comme aucun sorcier ne le fera plus ? Ah il faut aimer les paradoxes, c’est vrai, il faut aimer la magie des mots – magie blanche évidemment qui vous dévoilera les vertus du ciel et de la terre (et non du ciel contre la terre comme le croient bêtement les matérialistes), qui vous réapprendra à boire et à prier, qui vous prouvera d’ailleurs que le sang du Christ est le meilleur cru du monde, et qui vous redonnera cette joie et cette insouciance que trois siècles d’athéisme critique vous avaient enlevées.
Alors, n’ayez pas peur, découvrez l’ouvrage majeur de celui qui fut le maître à penser de Valery Larbaud, Jacques Maritain, Paul Claudel, François Mauriac, Borges, et tant d’autres. Ouvrez Orthodoxie !
Anglais converti au catholicisme romain, grand lecteur de Dickens mais disciple de saint Thomas d'Aquin - auquel il consacra un livre -, auteur de romans policiers dans lesquels un prêtre conduisait les enquêtes, le fameux Père Brown, Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) ne cessa, tout au long de sa vie et de son oeuvre, de combattre toutes les hérésies modernes (athéisme, scientisme, libéralisme, socialisme, démocratisme, et aussi nietzschéisme, marxisme, universalisme, colonialisme, cosmopolitisme) et de repenser l'ordre du monde « selon les règles immuables de l'humanité, celles du Petit Poucet ». Tous les textes de lui qu'on peut lire en français vont dans ce sens - nouvelles, contes, portraits, préfaces, postfaces, articles - mais l'essentiel de sa pensée et la concentration de son génie se trouvent dans trois petits livres pour lesquels l'auteur de ces lignes donnerait l'ensemble de sa bibliothèque philosophique : Hérétiques (1905), Orthodoxie (1908)[1], et dans une moindre mesure, Le monde comme il ne va pas (1910).
Lus et relus, ces trois petits livres ont constitué la plus large partie de notre intellect, structurant notre bon sens qui en avait bien besoin après trop d’années passées en Sorbonne, nous réveillant de notre sommeil dogmatique nietzschéen (car si Nietzsche rend tous les penseurs ridicules, Chesterton est le seul penseur qui rende Nietzsche ridicule), nous convainquant que seule une saine orthodoxie de pensée permet de remettre les choses en place, de voir l'homme tel qu'il est, et d'aimer cet homme non dans ce qu'il voudrait avoir de surhumain (pauvre Zarathoustra !), mais au contraire dans ce qu'il a de plus humain (la taverne, la camaraderie, le bonheur de boire de la bière et de faire des lois, la joie de croire en Dieu, aux anges et aux fées), de comprendre le génie du catholicisme, enfin, ce christianisme païen. Car, comme on le lit dans Hérétiques, tout est d’origine chrétienne, sauf le christianisme qui est d’origine païenne. Oserons-nous ajouter une note personnelle et confier que, sans Chesterton, nous ne nous serions probablement jamais reconvertis à cette « religion civilisée » (et la seule qui nous reste dans notre monde) qu’on appelle le catholicisme apostolique et romain ?
Avec lui, nous avons découvert, et en lettres d'or, la signification de la rhétorique. Car si Chesterton est un croyant du Verbe, il est aussi un prince des mots. Dans un monde aussi fou que le nôtre et dans lequel, dirait Pascal, il est encore plus fou de ne pas être fou, l'orthodoxe doit user du paradoxe s'il veut se faire entendre. Et c'est par là que l'art de Chesterton atteint des sommets. Le génie anglais s'y entend comme personne à tracer la ligne droite par des lignes courbes, à prouver la force d'une institution par ses faiblesses (l'Eglise de Rome, évidemment), à montrer qu’il y a d’ailleurs toujours un peu du message et du mystère de Rome dans le roman occidental – le « Rome en », que la poésie est garante de notre santé mentale bien plus que la logique qui, elle, aurait tendance à nous rendre fou, que « le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison », que trop d’humanité tue l’humanité, qu'être pragmatique, c'est savoir que le pragmatisme ne suffit pas, que la croyance en un idéal non pratique est bien plus pratique que toutes les raisons pratiques, que ce que l’on appelle avec dédain la tradition n’est que la démocratie des morts, que le surnaturel n’est qu’un écho du naturel et que les pommes d’or ne sont là que pour nous rappeler qu’elles sont vertes, que, si elle le pouvait, la grenouille remercierait Dieu de lui avoir donné le pouvoir de sauter, que le suicide est un affront personnel pour les fleurs, les papillons, ... et les grenouilles, que le génie du christianisme permet de porter un cilice sous des parures de pourpre et d’or et consiste dans l’affirmation de choses contradictoires comme la guerre sainte et la sainte paix, que tout au long de l'histoire chrétienne, « l'Eglise a dû monter la garde, ne fût-ce que pour permettre au monde d'être insouciant », que l'humanité, si elle veut persister, doit se choisir un idéal qui soit plus haut qu'elle, et non un idéal accessible et faisable qui entraînerait sa perte, que la Croix chrétienne nous libère et nous élève alors que la sphère bouddhiste nous enferme et nous crucifie, que la plus horrible religion du monde est la religion du culte intérieur, celle qui fait que l’homme croit en l'homme et devient fou, que le dogme du péché originel est bien plus efficace pour combattre la pauvreté et les injustices que le dogme de l’égalité sociale, que l'homme moderne, enfin, se tient sur la tête et que sa joie est contractée alors que celle du chrétien est dirigée vers le ciel et que sa joie est illimitée.
De l'inconvénient d'être un hérétique.
On l’aura compris, pour Chesterton penser bien, c’est penser droit – quand bien même on serait un hérétique. Or, nous sommes dans un monde où le mot « hérétique » est plus prisé que le mot « orthodoxe ». L’on est fier de se proclamer hérétique et l’on a honte de se dire orthodoxe. Autant dire que l’on est fier d’être dans l’erreur (ce que signifie étymologiquement « hérétique ») et que l’on a honte d’être dans la vérité… ou la voix droite (ce que signifie étymologiquement « orthodoxie »). Cette confusion consciente, sinon militante, des mots prouve au moins une chose – qu’on se fout complètement de la vérité, sinon qu’on lui a déclaré la guerre.
C’est à cette guerre du non sens que Chesterton,lui, veut faire la guerre du sens. Hélas ! L'homme moderne a une telle horreur de la vérité que, même s’il est décidé à défendre ses idées, il est encore plus décidé à avouer que ces dernières ne sont peut-être pas les bonnes et que le parti adverse a peut-être raison. Mais voici qu'un représentant de ce parti adverse ramène sa fraise et plaide brutalement pour son idéal à lui que notre premier zozo en est offusqué. « Comment ce type qui me contredit ose-t-il être si sûr de lui face à moi qui ne suis sûr de rien ? Comment s'octroie-t-il le droit de soutenir sa philosophie de l'existence sans passer par le scepticisme et « l'esprit critique » qui sont au fond toute ma philosophie de l'existence ? » Ainsi raisonne l'homme moderne que l'on pourrait aussi appeler l'homme modeste, toujours prêt à lancer à qui veut l'entendre « cette déclaration délirante et blasphématoire qu'il a peut-être tort ». S'il croit avoir peut-être tort, pourquoi essaie-t-il, alors, d'avoir raison ? Pourquoi essaie-t-il même de penser ? « Chaque jour, nous rencontrons quelqu'un prêt à avouer que son point de vue peut n'être pas le bon. Son point de vue doit pourtant être le bon, autrement ce ne serait pas son point de vue ». Malheur ! Avoir un point de vue solide et juste sur les choses se révèle aujourd’hui un délit d'opinion - comme la santé mentale est en passe de devenir une maladie honteuse et le bon sens une arrogance de réactionnaire. L’humilité contemporaine ne consiste plus à être humble devant la vérité mais à se croire trop humble pour en avoir une – et donc à reléguer celle-ci aux orties.
Comble de cette modestie à l'envers : nous sommes de moins en moins sensible du cœur mais de plus en sensible des tripes. Autant l'on se défie comme de la peste des raisonnements du bon sens, autant l'on se gargarise sans se lasser des « raisonnements » de l'affect. Le ressenti devient le seul garant de l'objectivité. La sensibilité, ce qui en nous nous fait aimer la vie, n’est plus rien. La sensiblerie, ce qui en nous ne peut supporter la vie, est tout. On ne pleure plus une femme qui va mourir, on pleure une femme qui ne peut pas mourir, et on accuse ceux qui l’empêchent de mourir de la pousser au suicide ! Chantal Sébire, évidemment - la figure de proue, la gargouille plutôt, de l’émotionnellement correct.
En fait, le problème de notre monde, c’est qu’il n’a pas le cœur à la bonne place. On le dit cynique et individualiste. Il est au contraire plein de sollicitude vis-à-vis de la misère et des souffrants, mais cette sollicitude est à côté de la plaque. Le moderne a substitué les sentiments généreux et les idées justes aux idées généreuses et aux sentiments justes. On est de plus en plus humanitaire mais de moins en moins humain. On est une sorte de chrétien antichrétien pathétique - plein d’amour pour tous mais qui ne veut surtout plus entendre parler de croix, de péché, et par là-même, de pardon.
Pour préserver l’humanité du péché, l’homme contemporain a cru bon de se débarrasser de la notion de péché. Il croit dur comme fer que l’abolition des transcendances, ou « la mort de Dieu », sera un soulagement pour le monde entier. Or, jusqu’à présent, c’est Dieu et les transcendances qui ont toujours été les premiers soulagements du monde. Tout athée qu’il se veuille, l’homme contemporain est une sorte de chrétien trop chrétien qui galvaude le christianisme et gaspille sa propre humanité. En ce sens, on peut vraiment dire que l’histoire de la modernité est moins la libération des vices que celle des vertus.
« Certes, les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi par des vieilles vertus chrétiennes devenues folles. »
Folie de cette charité qui refuse à l’homme sa chute originelle - et qui, ce faisant, lui refuse sa rédemption. Folie de cette fraternité qui exclut le mal de la sphère anthropologique - et qui a alors beaucoup de mal à définir le bien. Folie d’un certain humanitarisme qui enlève des enfants africains à leurs parents en croyant vraiment faire leur bien (arche de Zoé). Folie, très soixantuitarde celle-ci, de la foi en l’innocence sexuelle et qui, sous prétexte que la vérité sort de la bouche des enfants, fait enfermer pendant des années des adultes soupçonnés de pédophilie sous le seul témoignage abusif d’enfants abusés (arche d’Outreau). Folie compassionnelle (et festive !) de ces fameux comités de soutien pour Ingrid Betancourt qui organisèrent, pendant des années, des jetées de ballon biodégradable ou des ventes de billet de tombola à son effigie, ou des marches blanches, vertes, roses, multicolores en son honneur, au lieu d’en appeler à la vierge Marie – ce que l’intéressée, au grand dam de ses soutiens, fit à son retour de la jungle, avec manifestement plus de succès, et bien plus de classe !
De la complaisance d'être bouddhiste.
Mais la Vierge Marie, pourtant bien plus efficace pour aiguiser l’héroïsme individuel que n’importe quel droit de l’homme, n’a plus la côte dans notre monde. Trop chrétienne, c’est-à-dire trop « autre », elle n’a guère de chance d’apparaître aux yeux de nos contemporains qui ne sont sensibles qu’à cette fameuse Lumière Intérieure qu’ils croient avoir en eux et sur laquelle Chesterton va être impitoyable :
« De toutes les formes concevables d'Illumination, la pire est que ce que les hommes de cette espèce nomment la Lumière Intérieure. De toutes les religions horribles, la plus horrible est le culte du dieu intérieur. (...) Si Jones adore le dieu qui est en lui, cela signifie en fin de compte que Jones adore Jones. Que Jones adore le soleil ou la lune ou n'importe quoi pourvu que ce ne soit pas la Lumière Intérieure ; que Jones adore les chats ou les crocodiles, s'il réussit à en trouver un sur sa route, mais pas le dieu intérieur. Le christianisme est venu en ce monde d'abord pour affirmer avec violence qu'un homme ne doit pas regarder à l'intérieur de soi-même, mais à l'extérieur pour y reconnaître avec stupeur et enthousiasme une compagnie divine et un capitaine divin. Le seul plaisir à être chrétien venait de n'être plus laissé seul avec la Lumière intérieure, de reconnaître enfin l'existence d'une Lumière extérieure, belle comme le soleil, claire comme la lune, terrible comme une armée, bannières déployées ».
Certes, l’Evangile affirme que Dieu est en nous, mais en précisant aussitôt qu’il n’est pas nous. Pour l’homme moderne, ou pour Annie Besant, la théosophe-athée-féministe-mahométane de l’époque, il s’agit moins d’affirmer que Dieu est en nous qu’il est nous. Selon cette intéressante personnalité, Dieu se confond en nous comme nous nous confondons les uns avec les autres. La véritable Eglise universelle, c’est le Moi universel, le moi qui engloutit les autres moi, le moi qui fait qu’il n’y a plus aucune barrière ontologique entre un être humain et un autre être humain. Au bout du compte, conclut Chesterton très remonté, « Mrs Besant ne nous dit pas d’aimer notre prochain, elle nous dit d’être notre prochain ».
Or, c’est l’altérité qui rend possible l’amour. C’est la distinction physique et métaphysique des êtres qui donne envie à ceux-ci de se toucher. C’est cela le sens du glaive qu’apporte le Christ : séparer les êtres entre eux – c’est-à-dire faire de chacun un individu unique, singulier et libre ; libérer l’âme du moi haïssable ; l’ouvrir à la double dimension, horizontale et verticale, de la vie - cette croix qui va me permettre d’affirmer deux, quatre ou mille passions apparemment contradictoires ; extirper l’humanité de sa sphère étouffante, univoque, celle dans laquelle tant d’occidentaux d’aujourd’hui, pour ne pas dire : d’oxydantaux, croient se retrouver. Il n’est pas exagéré de dire que « le Christianisme est venu en ce monde à la seule fin de détruire la doctrine de la Lumière Intérieure ». Et dire que l’on croyait en avoir fini depuis longtemps avec cette hérésie polymorphe de petit moi divin qui ne connaît que lui – et qu’ont célébré autant Annie Besant que Marc Aurèle, les panthéistes anciens, les immanentistes modernes, les Quakers, les Francs-Maçons et, par-dessus tout, les bouddhistes d’hier et d’aujourd’hui !
Pourquoi Chesterton est si grand ? Parce qu’il est le seul penseur à avoir lu le bouddhisme à l’aune du christianisme à une époque où l’on a plutôt tendance à lire le christianisme à l’aune du bouddhisme – et d’ailleurs à tout ce qui le dénigre. D’abord, ne répétons pas avec les ânes que les religions (et le bouddhisme, avec son dalai lama, son organisation cléricale, ses lieux de cultes, ses moulins à prières, ses costumes, sa doctrine du salut, est bien, contrairement à ce que pensent les glands, une religion, avant d’être une « philosophie ») diffèrent dans leurs rituels et se rejoignent dans leur sagesse, puisque c’est juste le contraire qui est vrai : les religions se rejoignent dans leurs rituels et diffèrent dans leur sagesse. « Que le bouddhisme encourage la pitié ou la modération ne signifie pas qu’il ressemble particulièrement au christianisme mais seulement qu’il n’est pas étranger à toute existence humaine ». Mais en revanche, que l’individu soit affirmé par le christianisme et nié par le bouddhisme montre bien que nous avons à faire à deux credos fort peu compatibles entre eux – comme du reste le sont celui de la résurrection, soit le retour à la vie éternelle avec la même âme, le même corps et les mêmes affects, et celui de la réincarnation, soit le passage d’un corps à un autre, d’une âme à une autre, et dans lequel rien de personnel, donc d’éternel, ne subsiste. On peut être séduit par cette perte d’identité. On peut aussi en être consterné.
« Le bouddhisme est centripète, le christianisme est centrifuge : il éclate. Le cercle est parfait et infini de par sa nature ; cependant, il est à jamais limité par sa dimension ; il ne peut être ni plus grand ni plus petit. La croix présente en son centre une collision et une contradiction, mais elle peut étendre à l’infini ses quatre bras sans que jamais sa forme s’en trouve altérée. C’est parce qu’elle présente cette contradiction en son centre qu’elle peut grandir sans changer de caractère. Le cercle se referme sur lui-même. Il est limité. La croix ouvre ses bras aux quatre vents, signal de route aux voyageurs libres. »
C’est jusque dans leurs arts respectifs que les deux religions s’opposent. Le saint bouddhiste a un gros corps jovial mais les yeux fermés sur lui-même, le saint chrétien a un corps décharné mais les yeux grands ouverts sur le monde. L’un semble dormir – et c’est vrai qu’il a l’air heureux. L’autre est en éveil permanent – mais comme il a l’air aimant ! Que l’on préfère la paix du premier plutôt que l’ardeur du second nous fera au moins comprendre que la communauté d’esprit est impossible entre ces deux-là.
De la douce provocation d'être catholique, hier comme aujourd'hui.
La pensée de Chesterton en dix lignes ? Une rhétorique de la grâce. Une apologie de l'homme et du Dieu réels. Un étonnement théologique devant le monde. Une défense orthodoxe, c’est-à-dire religieuse, de la raison. Une mise au point sur l’écart ontologique qu’il y a entre Dieu et moi et qui me permet d’avoir les pieds sur terre et la tête dans le ciel. La conscience que la vie n’est pas illogique – même si elle est un piège pour logicien. La certitude que le sens vaut mieux que le néant. Mais comment faire comprendre à nos Homo Festivus ce qu'est le néant ? Depuis longtemps, nous nous contentons de cette définition qui vaut ce qu'elle vaut : le néant, c'est le contraire du plaisir sexuel.
Peut-être le Pape trouverait cette formule peu orthodoxe. Il est vrai que face à la démence généralisée du monde moderne, le Vatican a l'air d'une maison des sciences. Il n'y a plus que Benoît XVI pour tenir encore le bon bout de la raison. « Seule, au bout du rouleau, persiste la surréaliste Eglise catholique, à contre-courant permanent, refusant tout, niant tout, c’est-à-dire défendant la raison dans la déraison globale», écrivait si justement Philippe Sollers dans La vie divine. Etre catholique aujourd’hui, ce n’est pas seulement croire en Dieu, c’est résister au délire ambiant, à l’irrationnel en diable, qui règne partout. C’est retrouver un peu de joie et de clarté au milieu de la nuit athée et sans étoiles. C’est comprendre que l’Eglise romaine, loin d’appartenir à l’âge des ténèbres, fut toujours la seule qui nous en fit sortir.
(Cet article est paru dans Le magazine des livres, n°11. On en trouve quelques extraits sur le site Un nommé Chesterton.)
[1] Pendant longtemps, on put trouver Hérétiques et Orthodoxie dans la collection de poche, Idées Gallimard, édition 1970 pour le premier, 1984 pour le second. Ces deux volumes mythiques (illustré, l’un, par un détail de l’apocalypse de Béatus, l’autre, par le tableau de William Blake, L’éternel), sont malheureusement introuvables depuis une dizaine d’années. Pour le centenaire d’Orthodoxie, ce serait bien la moindre des choses que de sortir une nouvelle édition de ces deux chefs-d’œuvre. Le monde comme il ne va pas, lui, est disponible à L’Age d’Homme.