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Pierre Cormary - Page 201

  • Don Quichotte IV - Fictions en conflit

    Femme espagnole Julio Romero de Torres.JPG

    La chiquita piconera - Julio Romero de Torres, 1930.

     

    28 –ENTER DOROTHEE.

    Les fictions reprennent et se multiplient. L’auteur l’assume avec bonheur.

    « Heureux, trois fois heureux furent les temps où vint au monde l’audacieux Don Quichotte de la Manche ! En effet, parce qu’il prit l’honorable détermination de ressusciter l’ordre éteint et presque mort de la chevalerie errante, nous jouissons maintenant, dans notre âge si nécessiteux de divertissements et de gaieté, non seulement des douceurs de son histoire véridique, mais encore des contes et des épisodes qu’elle renferme, non moins agréables, pour la plupart, non moins ingénieux et véritables que l’histoire elle-même. Celle-ci, poursuivant le fil peigné, retors et dévidé de son récit, raconte qu’au moment où le curé se disposait à consoler de son mieux Cardénio, une voix l’en empêcha, en frappant leurs de ses oreilles de ses tristes accents. »

    Apparemment cette voix est celle d’un jeune paysan qui lui aussi hurle à la mort. Mais celui-ci, se dévêtant près d’une rivière, se révèle être une jeune fille d’une beauté inouïe, sorte de Mélisande aux pieds splendides et aux longs cheveux blonds

    « dont ceux du soleil même devaient être jaloux (….) Pour les démêler, elle n’employa d’autre peigne que les doigts des deux mains, telles que, si  les pieds avaient paru dans l’eau des morceaux de cristal, les mains ressemblaient dans les cheveux à des flocons de neige. »

     

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    On est ainsi passé du curé déguisé en femme à la jeune fille déguisée en paysan -  de la tromperie à la réalité, du grotesque à la beauté parfaite,  et de l'idéal féminin (Dulcinée, aussi évoquée qu'invisible jusque là) à son incarnation en cette Dorothée, la plus belle femme du roman - et son chaînon manquant.

    Car en effet, le récit qu’elle va bientôt faire de sa vie va compléter celui de Cardénio. Tout comme Luscinde, Dorothée a, elle aussi, été traquée par l’infâme Fernando, celui-ci lui ayant promis son amour, l’ayant d’ailleurs consommé brutalement avec elle,  en même temps qu’il était en train de forcer Luscinde à l'épouser. Lorsqu'elle apprendra ce mariage forcé, Dorothée quittera la ville avec son seul valet pour se cacher dans la Sierra-Moréna. Mais celui-ci tentera aussi de la violer et finira, poussé par sa maîtresse, dans le précipice. Obligée dès lors de se travestir en homme pour échapper aux désirs des hommes, Dorothée erre dans la Sierra. Rencontrer ce petit groupe est pour elle une chance morale de remonter son destin et de se venger de son suborneur  – et pour le lecteur une satisfaction dramatique puisque les deux récits, celui de Cardénio et le sien, n’en font désormais plus qu’un.

     

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