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Pierre Cormary - Page 217

  • A propos de Qohelet - D'un temps l'autre

     

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    David Bailly, Vanité aux portraits, Leiden, Stedelijk Museum De Lakenhal, 1651.

     

    « Je déteste la vie. » (II-17)

    Ce n'est ni Houellebecq ni Schopenhauer qui a écrit ça, c'est l'Ecclésiaste - le grand inspirateur de tous ceux qui ont mis la vie en question - à la question. Ou si l'on préfère, qui en ont fait un problème existentiel. Qohéleth, en effet, c'est l'auteur du seul texte de la Bible qui aille contre la Bible. C'est le premier homme qui voit ce que Dieu a fait et qui n’approuve pas forcément. Le premier créé qui trouve à redire de la création. Et lui n'a pas eu besoin du serpent pour se corrompre comme le bon et naïf Adam. Au moins quand ce dernier - ou plutôt ce premier - goûta la pomme, il la goûta avec délice. La connaissance, la volupté, l'ivresse de l'interdit, il les sentit avec toute sa candeur de premier homme ravi de l’existence - alors que lorsque Qohéleth la croque, il la trouve amère, la recrache avec dégoût, s’essuie la bouche comme si elle l’avait salie. Non, il s'est corrompu tout seul, le sage, il s'est corrompu par sagesse. Car, il faut se mettre d’accord, est corrompu, ou vicieux, ou pécheur, celui qui n’aime pas la vie - c'est-à-dire Dieu. De tous les péchés, c'est le seul qui ne soit pas remis. Le voilà, le blasphème "ultimate" contre l’Esprit Saint (Marc, III-28). On peut voler, on peut violer, on peut même assassiner, du moment qu'on adhère à l'existence, c’est-à-dire du moment qu’on dit oui à l’Esprit Saint, Dieu est satisfait. On peut même L'insulter, Il adore ça. Ca veut dire qu'on Le prend au sérieux, qu'on s'acharne à L'implorer, même dans la rage et le blasphème. Rappelez-vous Job (l'autre grand accusateur de Dieu et lui souffrant dans sa chair alors que Qohelet reste un intellectuel blessé, une sorte d'Ivan Karamazov avant la lettre.) Mais qu'on ne daigne ni Le prier ni L'invectiver, qu'on fasse la fine bouche devant Sa pomme de merde, qu'on Lui refuse et la reconnaissance et la connaissance de Ses bienfaits, qu'on se fiche comme d’une guigne de Sa colère, et qu’on Lui réponde, s’Il vient nous damner, qu’Il s’est de toutes façons toujours foutu de nous, voilà qui ne va plus.

     

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