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Pierre Cormary - Page 239

  • IV - Conte d'hiver (la question du choix)

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    5 - Le mouvement de la foi.

    Job est ridicule au jugement de l'éthique - et Abraham criminel. Rejeter la responsabilité de ses malheurs sur Dieu est puéril, expliquer que l'on va sacrifier son enfant au nom de Dieu, terroriste. Il n'y a pas plus anti-mystique que l'éthique. Non seulement l'éthique ne secourt jamais personne mais encore martyrise-t-ellle quiconque qui a failli. L'éthique ne s'en laisse compter ni par le scandale ni par la folie qu'est le christianisme. L'éthique ne comprend pas très bien ce Jésus qui se fait crucifier pour sauver les hommes de leurs propres péchés. Et avouons que nous non plus. On tente d'être chrétien, on échoue à chaque fois - car tous, nous sommes à plus ou moins de degré « possédés » par l'éthique.

    « Oui, je ne puis accomplir ce mouvement [de la foi], geint Kierkegaard (et nous avec lui). Dès que j'essaye, la tête me tourne et je cours me réfugier dans l'amertume de la résignation »,

    ou encore

    « accomplir le dernier, le paradoxal mouvement de la foi, m'est tout simplement impossible. »

    C'est cela, être chrétien - sentir que c'est impossible de l'être vraiment ! La grandeur horrible de Kierkegaard est d'avoir osé le dire aux chrétiens. Tu fais semblant de croire. Tu ne crois pas vraiment. Tu es toujours aussi moral et d'ailleurs aussi pécheur. Quoique tu ne voies pas bien ton péché primordial qui est de croire que tu es un bon chrétien. Etre chrétien, à la lettre, signifie savoir qu'on ne peut être un bon chrétien. Etre chrétien, c'est essayer tous les jours de l'être. Horrible, l'individu qui se croit chrétien parce qu'il est vertueux ! Car le contraire du péché n'est pas la vertu mais la foi (Kierkegaard).... et la haine de la foi, à un certain moment, c'est la vertu (ça, c'est de moi.)

    Devant cela, le philosophe éclate d'un rire moral et rationnel.

    « Il est hors de doute que Socrate eût dirigé les flèches empoisonnées de son ironie et de ses sarcasmes contre Job et ses folles revendications, et plus encore contre Abraham qui se précipita les yeux fermés dans l'Absurde ».

    Et bien, riez, philosophes, vous n'êtes bons qu'à ça de toutes façons.  Deleuze n'a-t-il pas dit que si un jour la philosophie devait mourir, ce serait de rire ? Contre la raison et le Cogito, Pascal avait parié sur l'existence de Dieu et la possibilité du salut. Contre la dialectique et l'Esprit, Kierkegaard osera le saut de la foi. Exactement comme Indiana Jones à la fin de La dernière croisade. Riez, vous dis-je !

    Nous, nous essayons de sauver Abraham.

    « Admettons qu'Isaac ait été réellement sacrifié, Abraham croyait ! Il ne croyait pas qu'il deviendrait heureux un jour dans un autre monde. Non, il le serait ici dans ce monde. Dieu pouvait lui donner un autre Isaac, Il pouvait ressusciter le fils égorgé ! Abraham croyait en vertu de l'absurde : pour lui, les calculs humains n'existaient plus depuis longtemps. Et afin d'écarter le moindre doute sur sa façon de comprendre la foi d'Abraham et le sens de son acte, Kierkegaard rapproche sa propre cause de celle d'Abraham. Il ne le fait, ni ouvertement, ni directement, cela va de soi. Nous savons déjà que les hommes ne parlent jamais ouvertement de ce genre de choses, Kierkegaard encore moins que quiconque : c'est justement pour cela qu'il inventa sa théorie de l'expression indirecte. A l'occasion, entre autres, il est capable, il est vrai de nous dire : chacun décide par lui-même et pour lui-même ce qu'il doit comprendre par Isaac. »

     

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    A chacun son Isaac. A chacun sa Régine. Je vais tuer Isaac mais Dieu me le rendra (ou m'empêchera au dernier moment). Je ne peux aimer Régine (je ne peux aimer aucune fille) mais Dieu, à qui rien n'est impossible, me permettra de l'aimer. La foi, c'est le désir d'être repris en Dieu. Jusqu'ici tout allait mal, à cet instant qui va arriver, tout va changer. Ma vie est dans cet espérance folle que tout change. La Félicie du Conte d'hiver de Rohmer ne raisonnait pas autrement : même si elle ne retrouve jamais Charles, l'homme de sa vie rencontré un été sur la plage, et accessoirement, père de sa petite fille, elle met toute sa vie en cet espoir absurde de le retrouver, en le rencontrant par hasard dans Paris - et cela donne un sens à sa vie. Tant de gens qui vivent sans avoir trouvé le sens de leur vie. Se résigner, c'est mourir. Mieux vaut vivre dans l'espérance que survivre dans le désespoir. L'ESPERANCE EST UNE VIE QUI EN VAUT BIEN D'AUTRES, dit en substance Félicie. Mille fois oui.

    « Ecoute maman, il n'y a pas de bon ni de mauvais choix. Ce qu'il faut, c'est que la question du choix ne se pose pas », dit-elle encore. Dix mille fois, oui.

     

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