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Pierre Cormary - Page 281

  • 20 - Un battement d'aile

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    « Là où est la justice, là est la patrie », écrivait Proudhon,cité par Deub's. A quoi on pourrait rajouter la célèbre formule de Simone Weil : « Il faut toujours être prêt à changer de camp avec la justice, cette fugitive du camp des vainqueurs. »

    Eh bien non, désolé,moi, j'en suis incapable. De changer de camp au nom de la justice. D'abandonner les miens parce que la vérité est ailleurs. « Je préfère ma mère à la justice », comme disait Camus. Je ne trahirai pas les miens ou moi-même pour la justice. Mais je trahirai la justice pour nous. Péché contre l'esprit saint ? Peut-être. Mais je crains qu'on soit beaucoup à le faire. Il me semble que vivre, à un certain moment, c'est assumer la part satanique de soi-même. Si être chrétien, c'est dire oui à Léonarda, eh bien, que Dieu me le pardonne, je ne le suis pas (au deux sens d'être et de suivre.) Si être chrétien, c'est ne pas être Charlie, eh bien je serai un Charlie chrétien, quitte à déplaire aux deux camps. J'en suis bien désolé, mais à un certain moment, je ne puis aller contre mes sentiments, mes intérêts, mes frontières, mon identité. Je ne peux aller contre mon foyer, ma patrie, mes traditions, ma culture  - tout ce que Simone Weil appelait les metaxu, soit tout ce qui "réchauffe et nourrit l'âme et sans lesquels, en dehors de la sainteté, une vie humaine n'est pas possible." Et j'attends impatiemment qu'on me jette la première pierre.

     

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    En même temps, et comme l'écrit Deubs, « je me sentirai toujours plus proche d'un étranger qui partage mes idées que d'un compatriote qui leur est hostile. » En clair, je préfère un arabe converti au christianisme qu'un français converti à l'islam. Un indien de droite plutôt qu'un parisien de gauche. Un vénusien qui partage mes goûts plutôt qu'un terrien qui en a d'autres. La vérité, ce n'est pas moi, non, ça serait présomptueux. La vérité, c'est ce que j'aime, ce que je crois, à quoi je tends et que je tente de rassembler autour de moi. La vérité, c'est ce qui fait surgir le désir en moi et qui la recherche. Simone Weil, que ne cite pas précisément Deub's, ne disait pas autre chose :

    "Le désir est mauvais, mensonger, mais pourtant sans le désir, on ne rechercherait pas le véritable absolu, le véritable illimité. Il faut être passé par là. Malheur des êtres à qui la fatigue ôte cette énergie supplémentaire qui est la source du désir."

    Après cela, étonnez-vous que je ne suis pas tellement kantien... Même si Dieu est le suprême désir.

    Mon mépris de l'argent va de pair avec mon incontinence financière et les quelques petites contrariétés meurtrières que cela entraîne de temps. Ce mépris de l'argent n'est rien d'autre qu'un second péché contre l'Esprit saint au sens où celui qui est prodigue compte sur les autres et n'est pas loin d'avoir une mentalité de parasite, voire d'esclavagiste. Celui qui méprise l'argent méprise le travail. J'irai donc deux fois en enfer - pour mépriser l'argent autant que la justice. Car, comme Deubs, « je ne vérifie jamais une addition au restaurant, je ne vérifie pas les relevés que m'envoie ma banque tous les mois, je ne regarde jamais le prix d'un livre que je veux acheter » - mais contrairement à lui, je n'en fais pas un acte de foi. Au contraire, dès que je me retrouve à découvert, j'ai l'impression de faire un péché mortel (la prodigalité n'étant que l'inverse de l'avarice) et celui-ci, auquel, bien entendu je ne renonce pas, me fait cruellement honte et me met dans tous mes états. Si un jour, je me suicide, ce sera parce que je n'ai pas pu me payer des oursins au Suffren. Car le bonheur, comme l'écrivait Aurora, « c'est avoir une bière au moment où l'envie de bière vous traverse l'esprit ».

     

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    Sinon, je suis très hostile à l'idéologie du gender, mais ça, on le sait, donc je passe vite. J'admets que le sexe ne fait pas tout le genre mais je suis bien obligé de reconnaître, et surtout de faire reconnaître, que dans l'immense majorité des cas, le genre ne fait que prolonger le sexe - et que si, l'anatomie fait aussi partie du destin. Et que le destin des hommes et des femmes se situe dans la dissymétrie originaire.

    Je suis évidemment d'accord avec la distinction raymond abellienne entre « les femmes originelles » (les plus nombreuses), « les femmes guerrières » (en nombre croissant de nos jours, ce qui me réjouit, pensez, ma chère Bati !) et « les femmes ultimes » (les grandes inspiratrices) qui nous protègent, moi en tous cas, des premières. Le sexe, dans tous les cas, est d'extrême droite. Et la vie est "un combat permanent entre le prosaïque et le poétique" - si Edgar Morin a dit une chose intéressante dans sa vie, ce sera celle-là.

     

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    [Libéral au sens classique, français à l'identité européenne, catholique pour raisons intimes et culturelles, iconodule intégral (et donc assumant tout à fait l'héritage païen du christianisme), je n'ai en moi aucun instinct révolutionnaire et encore moins dissident.  Que l'on critique l'Occident tant que l'on veut du moment que l'on ne prenne pas partie physiquement contre elle, voilà mon seul credo. Le reste est nihilisme. L'islamisme reste la barbarie absolue d'aujourd'hui et ce ne pas la peine de « fêter » les 70 ans de la libération d'Auschwitz et de répéter comme un âne « plus jamais ça », alors que ce « plus jamais ça »  a recommencé partout en terre d'Allah et parfois ailleurs quand Allah s'exporte. En fait, nos dissidents sont souvent des « chrétiens devenus fous », comme aurait pu dire Chesterton, qui ont trop bien intégré la culpabilité judéochrétienne et porté la charité là où il faudrait d'abord penser "oeil pour oeil". Les dissidents sont les nouveaux nihilistes - et ce n'est pas parce qu'ils stigmatisent notre décadence qu'il faut les laisser faire. L'islam ne nous "nettoiera pas". Eventuellement, nous soumettra... avec notre accord.]

    Quoiqu'il en soit, nous vivons une mutation anthropologique sans pareil dans l'histoire de l'humanité, « comme il n'y en pas eu peut-être depuis la révolution néolithique » - et dont Facebook n'est pas la moindre.

    « Nous vivons dans une époque fondamentalement déstructurée, invertébrée [beaucoup plus que "décérébrée" comme on le dit trop vite]. Le rêve de l'homme actuel, c'est l'indétermination et l'indistinction. Le corps lui-même a besoin, pour devenir un produit parfait, d'échapper à toute détermination. C'est la raison pour laquelle toutes sortes de choses qui se faisaient naguère de façon naturelle deviennent de nos jours problématiques, dépendantes de prothèses artificielles, des livres pratiques aux cellules de soutien psychologique. (...) »

    Tout devient problématique à notre époque, même pisser debout ou assis. Et « la nouvelle sauvagerie », ou « ensauvagement » comme dirait Laurent Obertone, va de pair avec une nouvelle "hypersensibilisation" sociale et psychique.

    « Après le libéralisme au XVIII ème siècle, le socialisme au XIX ème, le fascisme au XX ème, quelle sera la théorie majeure du XXI ème ? » - telle est la question en effet que l'on est en droit de se poser aujourd'hui, période « d'interrègnes » (Zwischenzeit) s'il en est. L'islamisme ? L'antiracisme ? Le transhumanisme ?

    Pour le reste, eh bien, si nous ne changerons pas le monde, nous ne nous laisserons pas changer par lui (Jean Mabire). Nous nous épargnerons la honte de ne pas avoir essayé (Daniel Bensaïd). Nous nous nous persuaderons qu' « il n'y a pas d'échec, ni de temps perdu  car les prévenances du destin sont infinies. » (Abellio) Nous croirons en la "la vie qui est riche en possibilités infinies." (Tyrion Lannister à John Snow). Même pour un freak.

     

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