Armande
Pour la langue, on verra dans peu nos règlements,
Et nous y prétendons faire des remuements.
Par une antipathie ou juste, ou naturelle,
Nous avons pris chacune une haine mortelle
Pour un nombre de mots, soit verbes ou noms,
Que mutuellement nous nous abandonnons ;
Contre eux nous préparons de mortelles sentences,
Et nous devons ouvrir nos doctes conférences
Par les proscriptions de tous ces mots divers
Dont nous voulons purger et la prose et les vers.
Philaminte
Mais le plus beau projet de notre académie,
Une entreprise noble, et dont je suis ravie,
Un dessein plein de gloire, et qui sera vanté
Chez tous les beaux esprits de la postérité,
C’est le retranchement de ces syllabes sales,
Qui dans les plus beaux mots produisent des scandales,
Ces jouets éternels des sots de tous les temps,
Ces fades lieux communs de nos méchants plaisants,
Ces sources d’un amas équivoques infâmes,
Dont on vient faire insulte à la pudeur des femmes.
Trissotin
Voilà certes d’admirables projets !
Bélise
Vous verrez nos statuts, quand ils seront tous faits.
Trissotin
Ils ne sauraient manquer d’être tous beaux et sages.
Armande
Nous serons par nos lois les juges des ouvrages ;
Par nos lois, prose et vers, tout nous sera soumis ;
Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis ;
Nous chercherons partout à trouver à redire,
Et ne verrons que nous qui sache bien écrire.
(Molière, Les femmes savantes, III – 2)