A Jean-Michel B. pour ses lectures, ses remarques et son inquisition orthographique et grammaticale qui tourmente pour leur bien mes textes.
De tous les cinéastes que nous aimons le plus, Jean-Luc Godard est celui que nous aimons le moins. Impossible de faire autrement avec lui. D’un côté, le chef-d’œuvre absolu, réinventeur du cinéma moderne, inspirateur de la presque quasi-totalité des films du monde entier qui ont suivi jusqu’à nos jours, A bout de souffle, notre « Citizen Kane » français (suisse, d’accord…), de l’autre, des dizaines de films dont on se demande à chaque fois qu’on les revoit (car on se les retape systématiquement depuis vingt ans) s’ils sont plus beaux que L’aurore de Murnau ou plus nuls que Le Jour et la nuit de Bernard-Henri Lévy. Cela dépend des jours peut-être. Voici un cinéma qui promet toujours (grâce à des titres sublimes, il faut le dire : Bande à part, Sauve qui peut la vie, Eloge de l’amour, Notre musique), qui déçoit souvent, qui émeut parfois, mais qui ne donne jamais envie de renoncer à le comprendre. Alors, son gauchisme attardé, son puritanisme de protestant qui confond l’obscène avec l’obtus, ses manières d’écrivain raté, oui bien sûr. Il n’empêche. Comment se passer du cul de Bardot, du bleu de Belmondo, du ventre de Je vous salue Marie, ou de la fabuleuse leçon de cinéma donnée par Godard lui-même dans Notre musique (sur le champ/contre-champ de Howard Hawks) ? Comment se passer surtout de ces quatre films que les Cahiers du cinéma ont eu la bonne idée d’éditer en doublet, l’un consacré à la pesanteur et la grâce (Passion, Nouvelle vague), l’autre au mythe et à la souffrance d’aimer (Prénom Carmen, Hélas pour moi) ? Nous voulons parler de Godard innocemment. Dire deux ou trois choses que nous sentons de lui. Nous laisser aller aux digressions, aux fragments, aux citations. Au risque des clichés et des jeux de mots faciles, comme lui. Tant pis. C’est le seul moyen d’y voir clair.