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  • INLAND EMPIRE - Le foutage de gueule d'un génie

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    On ne sait pas qui sont les plus agaçants, ceux qui disent que « c’est génial parce qu’on n’y comprend rien » ou ceux qui n’ont jamais aimé Lynch et qui ont enfin la preuve, à cause de ce film abscons et navrant, qu’il n’a jamais été qu’un cinéaste surfait. Moi qui ne me suis jamais remis d’Eraserhead, qui ai pleuré à Elephant man, été révélé par Blue Velvet, moi qui ai rêvé d’être Laura Palmer (on ne rigole pas), moi qui enfin considère Mulholland Drive comme la définition même du cinéma (l’érotisme, le mystère, la surimpression, les simulacres,  les arrières-mondes), et bien me voilà, et je dirais même, nous voilà (car nous sommes nombreux à vénérer Lynch), rejetés par notre dieu, confondus par notre maître, discrédités dans notre amour.

    Inland empire (que j’écrirai sans majuscule, et tant pis si la production nous fait un procès, Joseph se débrouillera !), c’est un peu comme si Hitchcock avait raté Vertigo ou si Kubrick s’était planté avec 2001. Ce qui aurait dû être le chef-d’œuvre de son auteur en devient le navet accusateur. Car le pire, c’est qu’un ratage pareil jette le discrédit sur l’ensemble de l’œuvre. « On vous l’avait bien dit que c’était un fumiste votre Lynch ! » me disait l’autre jour l’un de mes amis les plus crétins. Pour un lynchéen patenté, l’affront est douloureux. Et l’on en veut autant à tous ces anti-lynchéens poujadistes qu’à Lynch lui-même qui semble faire là une crise d’autisme ou d’orgueil démesuré et donner raison à ses ennemis.

    « Il y a tout un réseau, un océan de possibilités » dit l’un des personnages de cette supercherie impérieuse. Là-dessus, la critique délire. Film abstrait, polymorphe, perspectiviste, film de tous les possibles, qui nécessite mille exégèses et une nouvelle herméneutique rien que pour lui, film que l’on peut lire dans tous les sens et littéralement. Mais dans quel sens le lisez-vous, vous, a-t-on envie de rétorquer ? C’est bien beau de dire que telle œuvre peut s’interpréter à l’infini mais cela ne vaut que si l’on donne sa propre interprétation. Or, rien de moins stimulant qu’Inland empire sur ce point-là. Une fois que l’on a parlé de ses mises en abîmes elles-mêmes mises en abîmes d’autres mises en abîmes, de ses reflets sans fin, de ses miroirs sans tain, de ses possibilités sans réalités, et de son final vaguement religieux (la blonde a sauvé la brune), et encore pour ceux qui, comme le pauvre Armand Chasle, ont une vision « chrétienne » de Lynch, ce qui reste à prouver, on ne parle plus de rien. Et ce n’est pas de notre faute puisqu’au fond le film ne parle de rien, sinon de sa propre structure. Et Les chefs-d’œuvres autarciques, très peu pour moi.

    Bien sûr, tout n’est pas raté, et la première heure, mulholland drivienne à souhait, reste la meilleure. On est toujours sensible au film dans le film, on kiffe toujours un peu aux images mentales chères à l’auteur d’Eraserhead, on pourra même apprécier certaines séquences terriblement « lynchéennes » (les personnages à tête de lapin, la scène avec Grace Zabriskie, « certains » intérieurs comme la chambre éclairée à la lampe rouge, le visage défiguré de Laura Dern en effrayant clown et qui fait sursauter le spectateur - celui-ci somnolant il est vrai depuis deux heures), on pourra enfin être sensible au coucou final de Laura Harring au générique (mais, avouons-le, pour des raisons plus nostalgiques que diégétiques). Pour le reste, ces deux heures cinquante apparaissent interminables car elles donnent le sentiment que le film ne maîtrise pas son temps filmique, qu’il aurait pu durer six heures de plus ou deux heures de moins sans que rien ne change fondamentalement dans l’histoire et dans l’image, et que par conséquent il est construit non d’après une structure interne forte et nécessaire mais bien selon les caprices hasardeux d’un metteur en scène qui s’oublie dans le flux (le flou !) de son indéniable génie.

    Au fond, le problème d’Inland Empire, comme le souligne très justement Sandrine Marques sur Contrechamp, est  « qu’il se voudrait une expérience sensorielle quand il demeure obstinément une entreprise cérébrale. » Ce film en effet n’émeut jamais. N’excite même pas – un comble pour une œuvre de David Lynch. Comment un cinéaste peut-il d’abord vouloir passer trois heures avec une actrice aussi disgracieuse et aussi irritante que cette cruche de Laura Dern ? Alors qu’il avait Julia Ormond, la merveilleuse violée du Baby de Macon de Peter Greenaway, qui aurait pu tellement mieux faire l’affaire ? Ah la scène des baffes que celle-ci administre à cette godiche de Laura venue chialer auprès de son amant ! Ou quand elle marche à demi nue dans la rue à la recherche de sa rivale ! Et quel beau visage, creusé par la souffrance, lui trouve-t-on lorsqu’elle est interrogée par un commissaire patibulaire ! C’est d’elle dont on tombe amoureux dans le film, pas de l’autre blondasse ! Mais non, Lynch préfère mettre le paquet sur son actrice insignifiante, présente dans deux images sur trois. Et puis, la Digital Video, ça va cinq minutes. Ok, on peut serrer de plus près les acteurs, mais si c’est pour avoir une image aussi moche, merci bien. Non vraiment, David, c’est un désastre !

    Tant pis ! Nous attendrons le prochain. Depuis Lost Highway et Mulholland Drive, Lynch prouve qu’il passe aisément de la théorique à la pratique. Il cherchait dans Lost et trouvait dans Mulholland, il cherche dans Inland, il trouvera dans le prochain. Rien n’est perdu.

    Voilà, mon article d’humeur (mauvaise) est fini. « Exquis » comme il dirait. Ca aussi, cette façon de s’autocongratuler à la fin, il ne nous aura rien épargné…

    (Cet article est paru dans le dernier numéro de La revue du cinéma de mai 2007)

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