L’ex-Préfet Girot de Langlade aurait eu tort de s’en priver. Il aurait fallu être un saint pour ne pas se réjouir, dans sa situation, des mésaventures arrivées à son ex-ministre de tutelle, Brice Hortefeux. Lesquelles devraient, entre autres leçons, montrer à tous que l’accusation de racisme doit être brandie avec parcimonie et circonspection car elle a tendance à se retourner promptement contre ceux qui en usent pour faire les avantageux.
J’avais défendu ici même pour le préfet le droit à bénéficier d’un débat contradictoire. On me dira que le ministre y a eu droit et qu’il a fort mal plaidé sa cause. Pour autant, comme l’a souligné Philippe Cohen dans Marianne2, la délectation avec laquelle tout ce qui compte dans la France de gauche s’est jetée dans la “chasse au raciste” a quelque chose de particulièrement déplaisant. Et même d’inquiétant. Vendredi après-midi, une copine m’annonçait fièrement : ”J’ai signé, et toi ?” “T’as signé quoi ?” “La pétition pour la démission d’Hortefeux, pardi !” “Mais vous êtes tous devenus dingues ou quoi ?” Au silence qui a suivi, j’ai compris qu’il allait être sacrément difficile d’avoir sur la question une discussion raisonnable.
Branle-bas de combat ! À la Bastille ! Sur Médiapart, Edwy Plenel est l’un des premiers à renifler l’odeur du sang et à exiger la démission du raciste1. De la Licra au MRAP, du PS au Parti de Gauche, de SOS Racisme au PRG, c’est un festival de communiqués rivalisant dans l’indignation. Le Monde en appelle aux “valeurs”, l’Humanité relooke Hortefeux en “porte-flingue du pétainisme revisité” – rien que ça. C’est qu’un ministre, c’est encore plus chouette qu’un préfet. Avec un peu de chance, on défilera dimanche prochain. À l’heure où Le Pen passe la main, ça nous rappellera le bon vieux temps.
Il faut être honnête, l’émotion suscitée par les supposés propos du ministre semble aller au-delà des habituelles glousseuses. Les optimistes y verront la preuve que la société française est en vérité immunisée contre le racisme, les pleureuses en déduiront que le peuple qui n’a pas de pain (c’est une image) se console avec les Jeux. Quelques heures après la publication de l’article de Cohen, qui n’était pourtant pas tendre pour le ministre, certains de ses lecteurs, enragés, demandaient sa démission de Marianne2. Et après avoir abordé le sujet sur RTL, j’ai reçu des messages outrés, notamment celui de monsieur Capel (il n’a pas précisé son prénom). “Un ministre d’Etat, qui plus est chargé de la sécurité et des cultes, s’autorise une sortie raciste, la seule issue possible me semble la démission”, écrit-il. Mais c’est une autre phrase qui m’a fait sursauter : “En tant que penseuse indépendante et rigoureuse, poursuit mon auditeur, vous auriez dû avoir la même opinion que moi, la situation ne souffrait pas la moindre hésitation.” Ah ? Donc, j’ai le droit de réfléchir à condition d’aboutir à la bonne conclusion. Hortefeux, démission !
Il est vrai que si le sarkozysme est aussi une grande machine de com’, le “meilleur ami” du président vient de lui faire connaître de sérieux ratés.
L’Elysée et le gouvernement sont montés au créneau sur le front le plus facile, celui de la société de surveillance, que l’on appelle dans les bons jours société de communication. En général, certains collègues de Brice Hortefeux ne manquent pas une occasion de s’enthousiasmer sur le monde merveilleux d’internet et de la transparence, au point qu’ils s’estiment obligés de faire part de leurs pensées les plus banales à leurs électeurs-lecteurs-twitteurs. À l’inverse, il est amusant d’entendre tous ceux qui, il y a peu, partaient en guerre contre Edvige, se faire une fois de plus les avocats du droit de tous à surveiller tout le monde tout le temps. Sauf que ce n’est pas, ce n’est plus, une excuse. Si les politiques ne savent pas dans quel monde ils vivent, qu’ils changent de métier. Oui, tout ce que vous pourrez dire pourra être retenu contre vous. Donnez-moi deux mots de la bouche d’un homme et je le fais lyncher, on ne vous a rien appris à l’ENA ?
Il faut bien cependant, s’aventurer sur le terrain glissant des propos prêtés au ministre et de leur éventuelle gravité. Autant vous le dire, j’ai la trouille. Je sais qu’un mot mal compris, volontairement ou pas, peut vous conduire en un tournemain sur la prochaine charrette. D’abord, j’ai, comme tout le monde, réécouté de nombreuses fois la “vidéo censurée”. J’ai choqué beaucoup de gens en affirmant que je ne l’aurais sans doute pas diffusée. Ce n’est pas seulement parce que je suis payée par l’Elysée (si seulement…), c’est que je n’aurais pas vu le scoop. Si Hortefeux a dit quelque chose comme “un Arabe ça va, quand ils sont beaucoup bonjour les dégâts” et qu’il l’a dit devant l’Arabe concerné, j’ai beau faire appel à toutes mes fibres humanistes, je n’arrive pas à entendre autre chose que du second degré. C’est le genre de blagues idiotes qu’on fait à causeur quand on en a assez de se disputer sur la taxe carbone ou la taille du président : pourquoi y a-t-il chez nous tant de juifs, de pédés, ou d’alsaciens ? Et franchement, chers lecteurs outrés, c’est le genre de blague que vous entendez ou que vous racontez dans les dîners avec vos copains arabes, noirs et juifs et ça fait marrer tout le monde. Je vous concède que Brice Hortefeux n’a pas le profil de Ludvik, le héros de La Plaisanterie et qu’il a en plus une tête d’Aryen. Et pourtant, si on y réfléchit, ça y ressemble un peu. On ne déconne pas avec la vraie foi. Cette mobilisation d’une meute surchauffée pour une blague me fait penser que, derrière le triomphe des chauffeurs de salle que sont les humoristes appointés, l’esprit de sérieux a gagné. Si plaisanter sur les arabes, les noirs, les juifs ou les nains, c’est être raciste, antisémite ou petitophobe, il faut cesser de plaisanter. Et aussi de rigoler. À moins, évidemment, que vous vouliez tous finir dans la “cage aux phobes” inventée par Muray2.
D’accord, me direz-vous, chers lecteurs outrés, et si c’était du premier degré ? Ou, plus exactement, si le second degré ne faisait que révéler les arrière-pensées de Brice Hortefeux ? Si je traduis les propos présumés, cela donne quelque chose comme “des Arabes en France, aucun problème, ce qui peut poser problème, c’est la concentration”. D’accord, ce n’est pas très divers-friendly de penser cela mais que nous disent à longueur de temps les habitants des cités ? Qu’ils ne veulent pas vivre dans des ghettos, c’est-à-dire dans des quartiers où plus de la moitié de la population vient de la même culture qu’eux. Pas parce qu’ils sont racistes, parce qu’ils veulent participer à la promesse française, parce qu’ils veulent voir leurs femmes et leurs filles en robes légères, parce qu’ils veulent que leurs enfants apprennent “nos ancêtres les Gaulois”, parce qu’ils veulent parfois manger pendant le ramadan et boire un coup à l’occasion. Au risque de me faire, une fois de plus, traiter de juive honteuse, je trouverais ça un peu étrange qu’un gamin se retrouve, à l’école publique, avec 25 condisciples juifs. Je vous vois venir. Suis-je choquée par les classes de 30 têtes blondes aux noms bien de chez nous ? Suis-je gênée que certains de nos centres-villes soient un peu trop blancs ? Pas vraiment. J’aimerais que l’intégration et même l’assimilation d’autrefois fonctionne, que nos classes et nos rues soient ethniquement mélangées sans même qu’on y prenne garde. J’aimerais qu’Harry Roselmack présente le JT sans qu’on me précise qu’il est noir. J’aimerais que Fadela Amara et Rama Yade soient des ministres, pas des symboles.
Je crois que le racisme, le vrai, le racial, n’a plus cours en France. Qui oserait encore penser que les Arabes ou les Noirs sont “inférieurs” ? En adoptant la religion de l’Humanité, nous avons heureusement banni ces idées (pour le coup) moisies ; ceux qui continuent à croire en elles doivent le faire honteusement et encourent les foudres de la Loi. Tant mieux Seulement, il me semble qu’on qualifie aujourd’hui de raciste toute prétention à considérer qu’il existe une culture française (laquelle se nourrit évidemment depuis toujours d’apports extérieurs) et que ceux qui arrivent doivent s’adapter à elle et à son biorythme au lieu de réclamer qu’elle s’adapte à eux. In Rome, do as the romans do. Non, je n’arrive pas à trouver cette maxime scandaleuse. Je sais qu’elle est difficile à mettre en œuvre, j’admets volontiers qu’elle est discutable. Seulement, il semblerait qu’on n’ait plus vraiment le droit de discuter.
- Si Plenel me permet un conseil confraternel, il ferait mieux de s’économiser car, dans les semaines à venir, il trouvera certainement l’occasion de réclamer des têtes encore plus prestigieuses pour défendre l’honneur de son ami Villepin. ↩
- J’ai récemment employé son “mutins de Panurge” sans guillemets et sans citation parce qu’il me semblait que c’était désormais aussi estampillé Muray que “Rodrigue as-tu du cœur ?” appartient à Corneille, mais j’ai sans doute été un peu optimiste. Il faudra sans doute une ou deux générations pour que la France et la littérature sachent ce qu’elles doivent à Philippe. ↩
Publié le 14 septembre 2009 à 00h15 dans CAUSEUR.