Van Gogh, Tournesols (1887)
À Nadia...
« Me voici,
Imbécile, ignorant,
Homme nouveau devant les choses inconnues... »
Essayons l'Inconnu. Le Mystère. L'Inépuisable.
Essayons L'Esprit comme mouvement liquide (on allait dire « fluide » – car il y a bien quelque chose de queer chez Mesa, Ysé et les autres), pulsation du Verbe, souffle de Dieu, pneuma de l'Homme et de la Femme (allons-y !), « dilatation de la houle ». Houle catholique, comme il se doit. On connaît l'histoire : le 25 décembre 1886, à Notre-Dame, derrière un pilier, la Révélation. On lui a reproché d'avoir mis en scène cet instant, sa jouissance, plus tard ses semences.
« Ici reposent les restes et la semence de Paul Claudel », lit-on sur sa tombe.
Il faut oser une épitaphe pareille !
Si c'est à ça qu'on reconnaît les cons, alors lui en est un fameux. D'autant qu'il ne se disait pas si intelligent que ça, au contraire plaidait pour une certaine bêtise, au nom de la terre, du ciel et de l'Angélus. Angélus triomphant tout de même :
« Il s'agit de ne pas être ce que j'ai vu être ce malheureux Verlaine, ou Villiers de l'Isle-Adam, que j'avais rencontrés chez Mallarmé, c'est-à-dire un vaincu. Je veux être un vainqueur. »
Un vainqueur ! Le mot le plus anti-poétique du monde. Et bien digne de ce gros bourgeois paysan à l'exécrable réputation. Sa soeur enfermée à vie, ses odes à Pétain puis à De Gaulle, sa putain de carrière de diplomate, sa retraite de patriarche à Brangues.
Et pourtant...
« Il faut relire le vieux », aurait dit un jour André Breton qui tenait le Soulier en haute estime (jamais retrouvé la référence, Manon de Sercoeur ?).
Étonnante, cette filiation rimbaldienne entre eux – et dont on finit par se demander si ce n'est pas Claudel le vrai surréaliste.
Car l'invention du nouveau langage, c'est lui, bien plus que les surréalistes. On est en même en droit de se demander s'il n'est pas, après Proust et Céline, le troisième grand révolutionnaire du verbe au XXème siècle. Avec tout ce qu'il y a de plus inquiétant. Sa surabondance épuisante, son enthousiasme mystique qui en laissera plus d'un sur le rivage, son inépuisabilité lyrique – et cette façon d'écrire des vers au kilomètre.
« Claudel ne nie pas la métrique mais plutôt la dilate », écrivent Lagarde et Michard (que j'ai repris pour ce premier post – eh oui ! Je n'ai pas dépassé le stade de la Première en histoire de la littérature, c'est comme ça), « la rime peut se conserver, ou se transformer en assonance ou en rime intérieure. Mais le verset claudélien opère, au-delà des formes fixes comme au-delà de la rime, le parfait et libre unisson du rythme vital ou cosmique et de la forme métrique. Comme le Monde, et comme l'Homme, et comme Dieu, le verset est le rythme créateur du perpétuellement nouveau : il résout ainsi, selon Claudel, cette angoisse de l'inconnu où s'étaient arrêtés un Baudelaire et un Rimbaud. »
Contre toute une esthétique du manque, du blanc, du vide, de l'angoisse, de l'absurde, de la future écriture blanche, existentielle, Claudel pose son cosmos de couleurs et d'excès, son catholicisme jupitérien, son univers en expansion, pour ne pas dire sa folie baroque. Ce qui peut le rendre insuivable, irrespirable. Trop de plein, de sens, de présence, de voie lactée verbale, d'orgie d'étoiles. De Veritatis gaudium (« joie de la vérité »).
Il n'est pas le seul à son époque. Péguy, lui aussi, est un branque du Verbe. Cinq grandes odes, Porche du Mystère de la deuxième vertu, (presque) même combat.
Nabe a écrit de forts belles choses sur Claudel, notamment un hommage intitulé Cent phrases pour Paul Claudel (Oui, p 63). En voici une dizaine :
« Claudel, un Bloy riche. »
« Le Bulldozer du sacré. »
« Comme Shakespeare, il est si chrétien qu'il a l'air panthéiste. »
« Aucun structuraliste de littérature pure, aucun avant-gardiste formaliste n'a analysé la forme, le son et le sens des mots comme Paul Claudel. »
« Tête d'or, c'est son bateau ivre. »
« Il est le seul disciple de Rimbaud, c'est-à-dire qu'il l'a avalé et s'en est trouvé transsubstancié. »
« Ses plaisanteries.... Rembrandt qui se mettrait soudain à illustrer l'Almanach Vermot. »
« Claudel n'est pas un saint. C'est un sein (malheureusement, il n'y a pas la paire. »
« Une bête de Cène. »
« Il parlait à Dieu d'homme à homme. »
James Tissot, Le Bal à bord (1874)