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  • Tristes jeunes hommes

    A Ariane Allemandi, ma douce angevine,



    scott fitzgerald,le garçon riche,absolution,rêves d'hiver

    Heinrich Hofmann (1824-1911), Jésus et le jeune homme riche, 1889, Riverside Church, New York


    Tristesse du Garçon riche, qui donne son titre à ce recueil, ce Anson Hunter, "l'antihéros fitzgeraldien" parfait, comme dit Jaworski, nanti plein de certitudes morales et sociales, puritain et arrogant, et qui s'est coupé du monde à force de condescendance et d'honnêteté mal placée. Anti-existentialiste en un sens, son drame est d'avoir cru, comme tous les gens de sa caste, que son statut suffisait pour exister et que "l'esprit de sérieux", en lui "rigoureusement cloisonné", convenait à la vie.

    Mais qui n'a pas souffert de la difficulté de vivre ne sait pas rendre grâce. Qui n'a pas conscience de ses fêlures (et les nie chez les autres avec mépris) ne peut comprendre la vie. Et encore moins aimer. Bientôt, "l'instant décisif" sera passé et la reprise, une fois de plus, sera impossible. Anson verra son aimée Paula le quitter tandis qu'il sombrera dans l'alcoolisme. Ce qui ne l'empêchera pas de mettre fin, et sans aucune pitié, à l'adultère de sa tante, et de se conduire en tout, dans les affaires publiques ou privées, comme "un boulet et un frein".

    En ne voyant jamais, ou en ne voulant jamais voir que l'existence est avant tout contradiction, trompe l'oeil, aporie, et parfois, effondrement, Anson se desséchera progressivement - incarnant à la lettre le jeune homme riche de l'Evangile : 

    "A ces mots, il devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens."

    Au moins, l'effondrement n'est pas un dessèchement.


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    Solitude, par Thomas Alexander Harrison, 1893, (Musée d'Hors c'est)

     

    Tristesse de Dexter Green, pauvre caddy qui, pour se consoler de sa condition de garçon modeste, se réfugie dans ses Rêves d'hiver, ou "rêves de service", si typiquement fitzgeraldiens, dans lesquels il devient un champion de golf, battant le client dont il porte les clubs,

    "lors d'un match extraordinaire joué cent fois sur le terrain de son imagination, match dont il modifiait inlassablement chaque détail, qu'il remportait parfois avec une aisance ridicule, parfois avec maestria, après avoir comblé son retard",

    à moins qu'il ne rêve de donner

    "une démonstration de plongeons acrobatiques depuis le tremplin du plongeoir du club"

    et d'éblouir ses riches clients. Un jour, il tombera amoureux de Judy Jones, jeune héritière, cruelle, capricieuse, insensible, d'une insupportable liberté, et n'aura de cesse de vouloir la séduire par tous les moyens - comme Gatsby voudra séduire Daisy.

    Alors, il y aura ce moment d'extase du bain de minuit dans le lac du golf, sous les étoiles, entre les poissons, et pendant qu'un piano joue un air de son passé, lorsqu'il était à l'université, qu'il avait entendu cette musique de bal, mais qu'il n'avait pu y participer, fauché comme il l'était à cette époque. Pour Fitzgerald et ses personnages, le bling bling n'est jamais ridicule ou honteux.

    Et Judy sera venue à lui ce soir-là et ils auront nagé ensemble.

    "La regarder n'exigeait de l'oeil aucun effort particulier ; c'était comme regarder une branche se balancer, une mouette planer. Ses bras, d'un brun clair de coquille de noix, se mouvaient sinueusement parmi les rides à l'éclat de platine terni ; le coude apparaissait d'abord, renvoyant l'avant-bras en arrière, avec un bruit régulier de chute d'eau, puis le bras s'allongeait et retombait, creusant un sillon devant elle."

    Hélas, Judy est une coquette narcissique, imperméable à l'intelligence et au charme des hommes et qui s'arrange toujours pour "ramener aussitôt la situation à une affaire charnelle" et faire en sorte que "sous l'effet de sa beauté physique, les forts et les subtils jouaient son jeu et non le leur." A force de ne se nourrir que d'elle-même, elle lassera tout le monde et sombrera dans un mariage médiocre et brutal. Mais Dexter fait partie de ces hommes qui ne peuvent en vouloir aux femmes, même malhonnêtes. Et il ne gardera aucune rancune à Judy, l'aimant jusqu'au bout dans une sorte d'abnégation romantique finalement assez insensible. [L'anti Mathias G. en somme, qui en veut à toutes les femmes qui n'ont pas voulu de lui et trouve dégradant qu'on l'ait abandonné, le pauvre triste sire.]

    Dexter, lui, pleurera quand il apprendra que Judy aura sombré dans un mariage médiocre et brutal. L'amour meurt quand on ne peut plus le rêver. La mort est bien là quand la reprise n'est plus possible. Et Dexter aura beau presser les paumes contre ses yeux et s'efforcer de ressusciter une image du clapotis de l'eau du lac sur la rive de Sherry Island, au clair de lune, rien ne reviendra.

     

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    "Arsenia Syna" 1818, portrait d'enfant par Arseny Vasily Tropinin (1776-1857)


    Tristesse du petit Rudolf Miller, enfin, onze ans, qui ne se remet pas d'avoir menti à confesse et qui est perdu entre son père qui le roue de coups et un prêtre qui lui tient des discours incompréhensibles. Pour se protéger, il invoque son alter ego, "Blatchford Sarnemington", sorte de lui-même en mieux, le genre d'ami imaginaire que les enfants ont (un peu comme le petit Danny dans Shining qui parlait à son doigt). Un de ses "péchés" est de se croire trop bien pour être le fils de ses parents. Comment pourrait-il être le produit de ces rustres cruels ? Mais avec l'âge, la conscience qu'il est ce qu'il est s'impose de plus en plus.

    "Jusqu'alors, des phénomènes tels que des ambitions folles, des hontes et des peurs insignifiantes relevaient d'un domaine privé, et n'étaient jamais reconnues devant le trône de son âme officielle. Mais à présent, il sentait obscurément que ce domaine privé n'était rien d'autre que lui-même, et tout le reste une façade bien décorée et un drapeau de convention."

    Découverte qu'on porte le général en soi autant, et peut-être plus, que le singulier.

    Le salut ne peut venir que du dehors. Et non pas tant du dehors divin que du dehors naturel.

    "Il y avait quelque part une splendeur indicible qui n'avait rien à voir avec Dieu."

    Et c'est en effet un paysage érotique et solaire qui clôt de manière étrange cette histoire d'enfant triste, la plus belle de toutes. L' Absolution, ce sera "le galbe des jambes" des filles, "le col de leur robe chaud et humide", "la vie fertile et palpitante". Mais la femme mène à Dieu. Le femme est Dieu. Mon Dieu, pardonnez-moi mes élucubrations. Merci Ariane.

     

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