La palme d’or la plus controversée de l’histoire du festival pour le film le plus discutable, mais non le moins passionnant, de Pialat. L’on se rappelle le scandale. Les sifflets. Le poing levé du cinéaste. Son fameux « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus » alors qu’il les aime, lui, ceux qui le huent, c’est évident. Il les aime à la façon de Bernanos comme les imbéciles qu’ils sont. Des gens qu’il faut ébranler malgré eux, dont il faut mettre le nez dans leur caca antispirituel – ce que Pialat, au fond, n’a cessé de faire tout au long de sa carrière. « Il disait que pour les punir, on devrait leur demander de faire ce film, à tout ce monde de cinéma idiot » déclare un Depardieu extatique dans le bonus du DVD. Pour ce dernier, Sous le soleil de Satan, « c’est le plus beau. Jamais vu un film si bien, cadré, adapté. » Beau et bien fait, le film l’est suprêmement. Intérieurs à la Vermeer, extérieurs à la Courbet, interprétations sans failles de Depardieu, Bonnaire, Pialat (et sans oublier Jean-Christophe Bouvet, saisissant Satan, et l’extraordinaire Corinne Bourdon dans le rôle de la mère de l’enfant et que Pialat compare à Sandrine Bonnaire), musique de Dutilleux, et la parole enfin, abondante, magnifique, celle de Bernanos que Pialat et son scénariste ont à peine élaguée - tout concordait à faire de ce neuvième long métrage de l’auteur de Loulou « le lieu-dit d’une bataille spirituelle » comme le dit André Frossard. Force est de constater que le spectateur reste le grand oublié de cette bataille. Sous le soleil de Satan, c’est le film de Pialat et Depardieu pour Pialat et Depardieu. L’acte de foi autarcique. L’appel égoïste. Ils ont vu la lumière, pas nous.
Pourtant, cela commence fort. Dès le premier plan, et comme d’habitude chez Pialat, les corps sont là, lourds, massifs, habillés en noir, le geste précis (Menou-Segrais rasant Donissan), la charge symbolique énorme (le directeur de conscience préparant son disciple, sinon le mettant en scène comme le réalisateur Pialat mettant en scène son acteur Depardieu – et avouant au final, comme Menou-Segrais à Donissan, que c’est lui au fond qui a le plus appris de ce dernier).
L’incarnation, l’art de Pialat. Et pas simplement par l’emploi du gros plan qui ramène trop souvent tout à lui (et du reste fort peu employé par le cinéaste), mais par le plan moyen qui montre le torse et les membres toujours en douleur. Comme Bresson ou Tarkovski, Pialat ne faillit pas à la règle des corps chrétiens souffreteux, toujours mal à l’aise dans leur cadre. On n’oubliera pas de sitôt le corps ambulant et bancal de Gérard Depardieu qui traverse les campagnes, franchit les obstacles, mais toujours essoufflé ou au bord de l’évanouissement. Donissan, c’est le prêtre qui non content de porter sa croix est appelé à porter celle des autres et pour ce faire en viendra à vouloir se damner pour sauver autrui. Mais le sacrifice est plus orgueilleux qu’amoureux « et Dieu ne se donne qu’à l’amour ». D’où l’incertitude toute bernanosienne d’ailleurs qui se dégage du film. Chez Pialat comme chez Bernanos, Dieu brille par son absence et l’on n’est jamais sûr de rien – si le maquignon était le diable ou si l’enfant est vraiment ressuscité (il ouvre les yeux certes mais retombe inerte). « Dans ce film, Dieu ne se révèle qu’en négatif du mal, mais non en tant qu’affirmatif du bien. On ne le voit qu’à contre-jour ou qu’à contre-temps » dit encore André Frossard dans un des autres bonus. En fait, et comme le dit Fabien Gaffez dans son article l’image blessée [Et que l’on peut lire sur le site de Maurice Pialat lui-même : http://www.maurice-pialat.net/gaffez1.htm], Pialat conçoit son film comme un dispositif déceptif. Les événements ne sont pas lisibles, les cadres étouffent les personnages et tous les motifs de l’image, en particulier religieux, sclérosent celle-ci au lieu de l’ouvrir. A l’inverse de ce qui se passe dans le syndrome de Stendhal, « le spectateur [n'est] plus absorbé par le tableau mais littéralement rejeté par lui, l'image se recroquevillant sur sa propre désuétude. »
Le seul moment de grâce, et pourrait-on dire le seul moment de cinéma pur, c’est l’entrée de Mouchette. On croit qu’elle entre dans l’église de Donissan, lui-même en train de célébrer l’eucharistie, alors qu’elle entre dans le salon du marquis. Mais l’imperceptible ralenti sur le visage de Depardieu qui précède cette arrivée donne l’impression qu’il « la » voit. Deux plans de deux personnages dans deux espaces différents – et pourtant ils se rencontrent. Cela s’appelle le cinéma
(Cet article est paru dans le hors-série n°2 SPECIAL FESTIVAL DE CANNES de la Revue du cinéma d'avril 2007)