Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Cinéma - Page 19

  • Des purs et des impurs (sur Batman begins)

    (Eté dark knightisé oblige, je remets en ligne ce texte du 25 juin 2005, histoire de boucler la boucle de la plus exaltante trilogie de ces dernières années.)

    medium_batman_action.2.jpgC'est vrai qu'en sortant de ce Batman begins, je me suis dit que c'était le meilleur de la série. Plus réaliste, plus sombre, plus riche en thème et complexe en narration, enfin un Batman adulte qui transcende le genre ! Il est vrai aussi que je disais aussi ça de Batman le défi de Tim Burton, et que si je l'ai écrit un jour, Celeborn, qui est un ennemi parfois, se fera une joie de me confondre en disant que je ne peux dire de deux films qu'il sont le meilleur et que c'est une échappatoire rhétorique de dire alors qu'ils sont les deux meilleurs.

    Qu'importe ! Un blockbuster intelligent, ça n'arrive pas tant que ça, et je ne vais pas bouder mon plaisir même si je lui laisse le sien et le soin de me contrarier.

    La grande idée de Christopher Nolan (auteur remarqué, brillant et un rien appliqué de Memento et d'Insomnia) a été de sortir Batman de son cadre BD et de le placer dans celui d'un thriller glauque et "actuel" - une gageure quand on pense que Batman est un héros qui, comme Spiderman ou l'incroyable Hulk, appartient exclusivement à l'univers des planches à dessin et qu'il est très difficile à l'écran de ne pas sombrer dans le pastiche ou la guignolade kitsch comme l'avaient fait les troisième et quatrième très mauvais épisodes de la série, mais que l'on sentait déjà en germe dans ceux de Burton. En bon européen, Nolan débarrasse son super héros de sa dimension Strange pour en faire un Arsène Lupin ou un comte de Monte-Cristo bien de chez nous rendant ainsi la proximité (et pour ceux qui sont bon public, la projection) avec le héros de Bob Kane et Bill Finger bien plus inquiétante que d'habitude. Pour la première fois, oserait-on dire, Batman est autre chose qu'un film d'animation. Il est un Batman en chair et en os, un Batman psychologiquement et socialement crédible. Ca n'apporte rien, ai-je lu quelque part, de faire un Batman réaliste. Eh... pourquoi donc ? Faire que l'imaginaire soit le plus réaliste possible et le réel le plus fantasmatique possible (comme chez Lynch par exemple), voilà ce qui me plaît le plus au cinéma - cet art des métamorphoses et des surimpressions.

    Ainsi, j'aime qu'on me raconte les origines psychosociales du super héros (comparables, dira-t-on, à celles d'un Luke Skywalker ou d'un Harry Potter, mais ce qu'on appelle "cliché" là est aussi appelé "loi du genre" ici), j'aime que Batman ne soit pas stricto sensu un super héros mais un super homme, à la pointe du ninja bouddhiste et du milliardaire new yorkais, j'aime sa peur des chauve-souris et sa volonté qui s'en suit d'incarner lui-même cette peur, j'aime cette dimension schizo du personnage (déjà présente dans Spiderman, mais avec moins de sérieux), j'aime précisément cette volonté de Nolan de faire un film "sérieux" d'un sujet de teen-ager et qui arrive à donner du poids à ce qui a priori n'en avait pas. Quelle mise en scène ! Rompant avec la linéarité lassante des quatre premiers épisodes, elle multiplie les intrigues et les personnages, insiste sur les seconds rôles (Gary Oldman, magnifique en flic qui a l'air pourri et ne l'est pas), les visages (Michael Caine, Morgan Freeman - notons que Christopher Nolan sait filmer comme personne les visages d'hommes "paternels", comme il l'avait déjà fait avec Al Pacino dans Insomnia), et donne à l'ensemble une envergure dramatique presque trop écrasante - après tout, nous ne sommes que dans un "comics". Non, non, c'est comme ça qu'il faut faire. Dramatiser les divertissements, alléger les drames. L'histoire du cinéma est remplie de ces oeuvres puissantes parties de rien (Welles, Hitchcock, Kubrick). Nolan a si bien écrit son film (avec Frank Miller, l'auteur de Sin city, l'autre prise d'acid de ce mois de juin) qu'on le dirait adapté non d'une BD mais d'un bon gros roman noir. Seules les scènes d'action, brouillonnes et "illisibles", laissent à désirer, prouvant une fois de plus que les faiseurs d'ambiance ne sont pas souvent des chorégraphes de bagarres. Tant pis, son film creuse ailleurs.

    Et d'abord par ce commencement très osé dans un camp de prisonniers japonais (et Nolan de réussir là où Bryan Singer avait échoué dans X-Men, très malheureux navet qui tentant de dépasser le genre n'arrivait même pas à le rattraper) où Bruce Wayne s'est fait volontairement incarcérer, histoire de dégommer les méchants. Le futur redresseur de tort n'est qu'au début qu'un vengeur sadique qui veut punir ceux qui le sont déjà. Un assoiffé de justice qui a la tentation du bourreau (et Christian Bale est parfait en "american super hero psycho"), voilà qui renouvelle pas mal la thématique du super héros, non ?

    D'autant que notre apprenti terminator se fait remarquer par un membre de la "ligue des ombres" (Liam Neeson, toujours impressionnant), sorte de secte d'anges exterminateurs qui se proposent depuis la nuit des temps d'éradiquer toutes les villes corrompues du monde. Au contact de son maître, il apprendra à devenir surpuissant, mais refusera, en fin de formation, d'exécuter un homme - trahissant l'idéal mortifère de ces Kung-fu. Devenir un ninja sans devenir nihiliste, c'est là le combat intérieur de ce Batman pris entre sa volonté de justice totale et son appartenance au monde, j'allais dire, entre sa pureté exterminatrice et son impureté qui fait encore de lui un homme. Car, et c'est là l'enjeu politique de ce film étonnant, ce ne sont pas tant les méchants qui menacent le monde que les purs qui ne veulent plus qu'il y ait de méchants. Les purs - apocalyptiques de toutes tendances, justiciers sans pitié ni amour, hommes-déluges au coeur sec, lecteurs pervers de l'Ancien Testament, talibans polymorphes, qui au nom de la corruption généralisée, veulent tout détruire. Or, être un homme, c'est admettre cette part d'impureté de l'humanité, cette saleté du vivant, et être sage, c'est ne pas se scandaliser que notre chair produise aussi des étrons, c'est se rendre compte enfin que la volonté de pureté est toujours une pulsion de mort. Comme dans Matrix, l'ennemi qui compte n'est plus la matrice ou le monde corrompu et aliéné mais bien celui qui croit qu'il est trop noble ou trop supérieur pour en faire partie et qui décide soit de la dominer (l'agent Smith) soit de l'anéantir (Ra's Al Ghul).

    Bruce Wayne préfère encore faire partie de la société des hommes, corrompus ou criminels, plutôt que de vivre à la solde d'une poignée de Gentils qui ont fait du combat contre le mal un combat contre la vie. En somme, il faut toujours être le Judas de son diable. Profiter de ses leçons (car il en connaît un rayon sur l'intelligence, la force et l'administration des choses et des êtres, "l'esprit qui nie"), mais ne pas passer son examen final, le quitter sans le prévenir, éventuellement le vendre, et bien se garder d'aller se pendre. Etre Batman, c'est mettre au profit du bien ce que le mal lui a enseigné. En langage Fourchelang, on dira que c'est être élève de Serpentard, élève et non disciple - voilà qui me plaît bien.

    25 juin 2005

     

     

    Lien permanent Catégories : Cinéma Pin it! Imprimer