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Pierre Cormary - Page 98

  • Beaucoup de bruit pour rien - Le mal et la merveille

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    L’amour anthropophage.

    Béatrice a juré de manger tous ceux que Bénédict tuerait : « Dites-moi ! Combien d’être a-t-il tués et mangés dans cette guerre ? Mais d’abord, combien en a-t-il tué ? Car j’ai promis de manger tout ce qu’il tuerait », lance-t-elle en tout début de pièce. Quelle plus belle déclaration d’amour que celle de l’amante (ou de la future amante) qui se propose de manger les ennemis de son amant ! Cependant, lorsque Bénédict surgit et lui demande si elle, « madame Dédain » comme il la surnomme, est « encore vivante », elle lui rétorque du tac au tac qu’elle le mangerait lui aussi – et même qu’elle le mange déjà : « Est-il possible que Dédain meure, ayant pour se nourrir un aliment aussi inépuisable que le signor Bénédict ? ». 

    On comprend que ce dernier soit terrifié par cette ogresse verbale – et en même temps horriblement attiré (et comme il dira plus tard qu’il va « devenir horriblement amoureux d’elle ».) Être mangé par une femme, c’est-à-dire être avalé par elle, se retrouver dans son ventre et renaître un beau jour, voilà le fantasme typiquement masochiste tel que Gilles Deleuze l’a défini dans Le Froid et le cruel et qui n’est rien moins qu’un vouloir-vivre par d’autres moyens – à mille lieux du sadisme, véritable celui-là, de l’ogre mâle qui dévore ses enfants, les massacre, les tue pour les empêcher de lui prendre le pouvoir. Encore une fois, l’homme du côté de la mort, la femme, du côté de la vie (Eve « la vivante »). Je me demande toujours si c’est féministe ou misogyne de penser les choses comme ça.

    En tous cas, Béatrice a la dent dure, c’est le moins qu’on puisse dire : « Elle m'a lancé raillerie sur raillerie avec une si impossible dextérité que je restais coi comme l'homme à la cible visé par toute une armée. Elle parle des poignards, et chaque mot frappe. Si son haleine était aussi terrible que ses épithètes, il n'y aurait pas moyen de vivre auprès d'elle, elle infecterait jusqu’à l'étoile du Nord. Je ne voudrais pas l'épouser quand elle aurait en dot tout l'héritage d'Adam avant la faute. Elle aurait fait tourner la broche à Hercule… Oui, et elle lui aurait fait fendre sa massue pour allumer le feu. Allez, ne parlez plus d'elle. Vous découvrirez que c'est l'infernale Mégère en grande toilette. Plût à Dieu que quelque savant l’exorcisât ! Car, certainement, tant qu’elle sera dans ce monde, on pourra vivre en enfer aussi tranquille que dans un lieu saint, et les gens pêcheront tout exprès pour y aller. C’est que vraiment il n’est pas de désordre, pas d’horreur, pas de discorde, qu’elle ne traîne après elle. » 

    Suis-je le seul à être excité par ce portrait ô combien sexuel de Béatrice (tellement bien servie par Emma Thompson dans le film merveilleux de Kenneth Branagh) ?

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