Le titre originel de cet article était "Nabe, cocu mimétique, et autres petites mises au point déplaisantes à dire mais fort plaisantes à écrire" (le 23 novembre 2010)
« L'une des inversions malignes les plus classiques et les plus meurtrières a donné naissance à l'idée de pureté. La pureté est l'inversion maligne de l'innocence. L'innocence est amour de l'être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l'alternative infernale pureté-impureté. De cette sainteté spontanée et comme native, Satan a fait une singerie qui lui ressemble et qui est tout l'inverse : la pureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l'homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état absolument contre nature. L'homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mort autour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la pureté de la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce, mais toutes débouchent avec monotonie sur des crimes sans nombre dont l'instrument privilégié est le feu, symbole de pureté et symbole de l'enfer. »
Michel Tournier, Le Roi des Aulnes, éd. Gallimard, 1970, p. 85
D’abord, cette histoire de Goncourt qui ne fait s’indigner que ceux qui le prennent trop au sérieux – un peu comme les défilés militaires ne rendent malade que les antimilitaristes. Alors qu’un défilé n’est qu’un défilé. Un prix n’est qu’un prix. C’est une récompense sociale qui permet à un auteur d’être un instant au centre de la vie littéraire – et dans le cas de Houellebecq qui joue le rôle du poil à gratter de la société française depuis une quinzaine d’années, il sera intéressant d’observer l’effet de celui-ci, institutionnalisé en un sens par son Goncourt, sur celle-là - et quel eczéma sociétal en surgira. C’est aussi une « réjouissance collective », comme lui-même l’a dit au Drouant, dont il est facile de se moquer mais qu’il est toujours douteux de bouder – un peu comme ces gens qui boudent Noël, sous prétexte que c’est une « affaire commerciale » dont ils veulent s’exclure, croyant ainsi marquer leur indépendance d’esprit alors qu’ils ne font que prouver leur grande solitude ce soir-là. Et puis, pour une fois que les jurés ont couronné un écrivain qu’on ne va pas oublier dans six mois, on ne va pas se plaindre ! En fait, il faut être très humble pour accepter un prix et jouer sans affectation ni snobisme le jeu social. Aucun avilissement là-dedans – sauf pour tous ceux, auteurs jaloux, critiques éruptifs, intellos coincés, qui se placent toujours au-dessus des vanités humaines pour préserver la leur ou ce qu’il en reste. Alors, il séructent, ils s’étranglent, ils en font toute une histoire, ils prouvent mille fois que le Goncourt n’est qu’une affaire de marchandage, de réseau, de calcul, de parisianisme – et ils ont sans doute raison. Mais cette raison est vaine. Personne n’est dupe de cette imposture au fond inoffensive des prix littéraires et il n’est pas la peine de raconter l’histoire de Guy Mazeline (1) jusqu’à la lie pour s’en convaincre. D’autant que le Goncourt ne se trompe pas à chaque fois. Comme Littell en 2006, ou Amette en 2003, ou Echenoz en 99, ou Rouaud en 90, ou Queffélec en 85, ou Bodard en 81, ou Modiano en 78, ou Ajar (Gary) en 75, ou Chessex en 73, ou Carrière en 72, ou Tournier en 70, et je m’arrête là car avant je n’étais pas né et le Goncourt est aussi une affaire de génération, Michel Houellebecq mérite amplement son prix. Au fait, arrêtons avec cette stupidité qui fait dire à tout le monde qu’il s’est « assagi » alors que, et l’on s’en apercevra dans quelque temps, jamais l’un de ses romans n’aura été aussi sournoisement subversif. Véritable cheval de Troie de l’édition, le Goncourt 2010 prépare encore de fameuses surprises, on le parie ici.
Pour l’heure, ça lui a fait plaisir, ça nous a fait plaisir, on en a certainement fait un peu trop (car c’est vrai, le Ring s’est engagé pour et avec lui), cédant d’une certaine façon au paroxysme de l’époque qui oblige à faire les choses de manière paroxystique si on veut les faire, mais tant pis - ou tant mieux. En faire trop est toujours une marque d’amour ou d’admiration. Quant au copinage, si décrié par ceux qui n’ont pas de copains, je suis pour, car c'est finalement le seul acte qui prouve votre amitié, votre confiance et votre engagement pour quelqu’un. J'aime Houellebecq depuis douze ans, depuis que j'ai découvert Les particules élémentaires, donc, je le célèbre, donc, je suis heureux pour son Goncourt. Sa joie enfantine m'émeut et je n’y vois aucune raison de « m’attrister » parce qu’on y lirait, comme le dit avec sa tristesse coutumière le Stalker (allons-y), « une grande misère (voulue, tolérée, nourrie, combattue tout à la fois, peu importe) », rajoutant que son « boulot de critique » à lui est précisément de la révéler - pour ne pas dire la dénoncer. Quelle formidable idée de la littérature, vraiment ! Cette obsession bizarre, puritaine au fond, de juger l’œuvre en fonction de l’homme, et de trouver scandaleux, indigne, inqualifiable, que vie et littérature ne soient pas toujours en adéquation - alors qu’elles ne le sont en vérité presque jamais. A part Socrate et le Christ, je ne vois personne totalement en adéquation avec ses croyances et sa philosophie (et comme par hasard, ces deux-là n’ont rien écrit.) « On écrit quand on a quitté le monde de la parole donnée », disait ce grand délinquant de Jean Genet. Dès qu’on écrit, c’est qu’on est incapable d’agir. Dès qu’on écrit, c’est qu’on a un problème honteux à régler. Dès qu’on écrit, c’est qu’on veut compenser. Dès qu’on écrit, c’est « qu’on en a un peu marre de l’existence », comme le disait si justement Houellebecq dans son Lovecraft. Pas la peine de faire une histoire de la littérature pour savoir que les écrivains sont souvent des gens assez peu héroïques, souvent planqués (Bernanos), bourrés d’idées odieuses (Céline, Baudelaire), ne voulant surtout pas vivre la vie réelle (Stendhal, Flaubert) ou ne se battant que pour leurs rentes (Proust), à moins qu’ils n’en aient pas, et que dans ce cas-là, ils se mettent à faire chier tout le monde et ratent en partie leur œuvre (Léon Bloy) surtout quand ils ont décidé « d’être en cohérence avec eux-mêmes. » « Je ne fais jamais ce que je veux, je fais toujours ce que je ne veux pas », disait Saint Paul, la plus belle et la plus grande vérité jamais écrite sur l’être humain. Eh bien non ! Leur credo à eux, les ayatollahs du Verbe, c’est qu’il faut faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait (à la Jospin, quoi ?) et aussi, au risque de sombrer dans la tautologie la plus démente, faire ce qu’on fait et dire ce qu’on dit, et fire ce qu’on daire, et raife ce qu’on ride, et aifre ce qu’on tidre, et idre ce qu’on fraire.
Un autre qui ne supporte pas les faiblesses humaines, c’est ce petit sot de Nabe, ce petit Adolf de Nabe, ce petit Adolphe Petissaud de Nabe. Et ne dites pas que c’est moi qui le dis, puisque c’est lui ! « C’est moi qui ai assassiné Michel ! », clame-t-il fièrement sur une vidéo de Fluctat.net – endossant de facto le rôle du meurtrier de Houellebecq dans La carte et le territoire. Etonnant cette propension de Nabe et de ses sbires à toujours se projeter dans le rôle des assassins ou des égorgeurs dont nous serions, pauvres de nous, les agneaux immolés ! Se foutre dans les pires symboles et se croire malins de le faire ! Pour nous qui pensons que ce con total, extrême crétin, terroriste infantile, est aussi, quand il met sa « Weltanschauung » en sourdine, un écrivain génial, un prosateur comme il n’y en a pas deux en France, un promoteur d’extase littéraire à chaque ligne qu’il écrit (mais qui s’arrange toujours pour qu’on parle d’autre chose que de ses livres), Nabe était au début cet extraordinaire innocent vaguement anarchiste qui se faisait tabasser par tout le monde et qui pour cette raison nous donnait envie de le protéger jusqu’à ce que l’on se rende compte que le rêve du tabassé était de tabasser tout le monde (comme le prouve sa rengaine « bien fait pour leur gueule » sur son Twitter qui se réjouit avec un sadisme puéril de toute blessure faite à l’homme par un animal, débile spéciste qu’il est) et que son innocence n’était rien d'autre que cette chose odieuse qu’on appelle la pureté.
Au fond, le problème de Nabe, comme celui de Céline, son maître, c’est son progressisme. Son utopisme. Son hygiénisme. Nabe, l’hygiéniste. Nabe qui ne supporte pas le corps malingre de Michel Houellebecq en photo dans les Inrockuptibles et le compare à un Lucian Freud. Nabe qui ne décolle jamais de la perception consanguine, raciale et sexuelle des êtres - comme dans cette vidéo où il s'adresse à Rama Yade en lui affirmant qu’ « on sent l'africaine » en elle à la voir ainsi réagir à ce qu'il venait de dire, et que lui « connaît bien les Africains » et que dans sa bouche, c'est un « immense compliment», en y’ a bon le blanc qu’il est.
Nabe qui a hérité de l’hystérie maternelle qui veut que tout soit « sain et propre » (c’est cela, la vision d’extrême droite) et qui ne se fatigue jamais de hurler contre la saleté de l’Empire en en appelant à la « Révolution » (c’est cela, la vision d’extrême gauche). Nabe qui croit sincèrement à la politique, c’est-à-dire à un monde meilleur, un monde dont il faudrait exterminer tous les éléments qui l’empêchent d’être meilleur. Nabe qui en ce sens raisonne, ou plutôt « fonctionne », comme le Céline des pamphlets et comme l’a expliqué pour l’éternité Philippe Muray : si Céline a commis Bagatelle (qui est, faut-il le rappeler, une utopie sociale et socialiste, égalitariste et pacifiste, médicale et morale, et qui voit dans les juifs ce qui empêche d’accéder à ce socialisme, cet égalitarisme et ce pacifisme), c’est qu’il y avait en lui quelque chose qui ne supportait pas le Voyage au bout de la nuit. En vérité, Louis-Ferdinand Destouches médecin était en conflit avec Céline romancier. Romancier, il écrivait contre sa mère – le désespoir, la nuit, la mort à crédit. Pamphlétaire, il écrivait pour elle – l’espoir de lendemains meilleurs, d’une positivité pure, sans négatif, sans altérité, sans Alliance ni Croix, sans « juif », donc. L’antisémitisme sauvage au nom de l’humanisme socialiste. Et le Verbe au service de la logorrhée. Et le style au service de la pureté. Nabe qui soutient le terrorisme islamiste et révolutionnaire, qui adule Che Guevara et Ben Laden (tout en rappelant un jour, chez Jacques Chancel, que Ben Laden a tué moins de monde que Che Guevara – c’est cela qui est amusant chez lui, cette transparence absolue qui fera que ni les partisans du Che ni ceux d’Oussama ne pourront réellement s’entendre), Nabe qui compare Ben Laden au Christ ( !!!!!!!!!), Nabe qui à force de célébrer l’instinct vital sans voir l’aspect sanitaire qui va avec, rejoint à sa manière l’utopie raciste et sanglante de son maître – soit cet idéal typique des fils à maman, incestueux et fascistes, incestueux donc fascistes, ce qu’il n’a jamais au fond cessé d’être. Céline rêvait d’un monde comme ballet éternel, son rêve contrarié par le monde aura participé au pire crime du XX ème siècle. Nabe aspirait à un monde qui ne serait que jazz session et action painting, ses aspirations déçues l’auront fait rejoindre le terrorisme contemporain.
Évidemment, on peut toujours arguer que Nabe ne comprend pas ce qu’il dit quand il parle de politique, de révolution, ou d’Afrique et qu’il n’est qu’un gaucho-fasciste de pacotille qui veut se faire peur en nous faisant peur, sans y croire lui-même. Sur ce point, son ex-ami Alain Soral est d’une clarté confondante : « couillon, escroc et tricheur », Nabe incarnerait le faux subversif par excellence, « bricoleur mondain » qui se moque des vrais résistants (comme par exemple Alain Soral), méchant pro-musulman de service finalement au service de l’Empire (au contraire d’Alain Soral), agent bushiste sans le savoir quoique zélé comme pas deux (et que combat sans pitié Alain Soral), « collabo subtil » des puissants qu’il fait mine d’exécrer (et qu’a bien compris Alain Soral), atlanto-sioniste pour la seule raison qu’il est « antirévionniste intégral » (ils sont quand même fabuleux, ces extrémistes !), tartuffe total du système qui se prend pour Dante ou Céline mais qui n’a jamais « pondu aucun grand roman » et n'aura aucune postérité (alors que lui, Alain Soral se voit beaucoup plus « performant », ha !), styliste applaudi seulement par les snobs de Saint Germain (exactement ce que lui reprochait Caroline Fourest chez Giesbert), bref, un littérateur néoconservateur qui aurait toute sa place au Ring, ce cher Marc-Edouard !!!
Évidemment, Alain Soral qui après avoir été communiste, lepéniste (quasiment en même temps), branché, anti-branché, people anti-people qui hantait les émissions de Mireille Dumas, mais vise aujourd’hui à avoir de l’argent pour construire sa maison (une saine activité) n’en est pas à un milliard de contradictions près, mais au moins voit-il juste dans l’incompétence « révolutionnaire » de son ex : Nabe est bien le Jacques Chazot de l’anti-impérialisme et de la révolution, et qui du reste serait le premier pendu s’il y en avait une (et certainement par Alain Soral à l'arbre du jardin de sa maison !) - la révolution n’ayant guère de goût pour ce genre de petit marquis, esthète forcément décadent et qui est « l'incarnation de la bourgeoisie la plus dégénérée » (encore Soral !), snob tracassier qui ne peut se passer d’aller tous les soirs à La closerie des lilas et d’en dire le plus de mal possible dès qu’il en est sorti. Et puis Nabe aime Duke Ellington.
Or, si Nabe était vraiment révolutionnaire, il irait pisser sur la tombe de Duke Ellington ou sur celle de son ancien ami Sweets Edison (comme Sartre pissa naguère sur la tombe de Chateaubriand) ou encore aller aider ses amis islamistes à saccager la tombe de Dante, ou au moins s’arranger pour détruire toutes les toiles de Soutine (un peu comme il se réjouissait, petit connard abject, de voir les statues géantes bouddhistes atomisés par les talibans - "un peu d'antibouddhisme primaire"). Voilà qui serait un acte réellement, odieusement révolutionnaire. Mais Nabe aime trop le jazz, Soutine et Dante pour être crédible en terroriste révolutionnaire et mettre en danger tout ce grâce à quoi il tombe en extase. Certes, on parle souvent d’une révolution artistique à propos de tel artiste qui a renouvelé telle forme musicale, littéraire ou picturale, mais dans ce cas-là, l’emploi du mot « révolution » est métaphorique et n’a rien à voir avec la réalité historique des révolutions où le massacre de masse va de pair avec l’éradication des arts. « Je n’ai pas de temps à perdre avec cette saloperie », disait Lénine de Dostoïevski. Alors choisis, Marc-Edouard, choisis entre Lénine ou Dostoïevski. Choisis entre Robespierre ou Sade. Choisis entre la kalachnikov ou le Louvre. Et oublie un peu ta pureté dangereuse, cette pureté « maligne », qui n’est qu’ « horreur de la vie, haine de l’homme, état absolument contre nature », comme le dit si bien Tournier, et qui ne conduit qu’au carnage.
Remarquable de constater comme les écrivains ou les philosophes de la vie et de la joie sont si souvent conduits à prôner des politiques de mort et de terreur ou se font presqu’à chaque coup récupérés par elles – drame de Nietzsche, dramatique de Nabe. Et encore plus remarquable de voir qu’au contraire ce sont les professionnels du néant et de l’absurde, Schopenhauer, Cioran, Ionesco, ou « les professeurs de désespoir » comme Nancy Huston le disait de Houellebecq, qui sont en revanche si roboratifs, si toniques. Schopenhauer, c’est le pessimisme + Rossini, le néant + la gastronomie. Nietzsche, c’est Zarathoustra + la solitude, la « belle humeur » + la folie. Nabe, écrivain du bonheur et des passions joyeuses mais rattrapé politiquement par les passions tristes. Houellebecq, écrivain des passions tristes mais sublimé par la poursuite du bonheur et la croyance en l’amour - et Nabe peut ricaner, oui, « l’amour, c’est rare ». Nabe, écrivain de la vie qui porte la mort sur sa gueule. Houellebecq, écrivain de la mort qui porte la douleur sur son visage et dont l’œuvre permet de rester vivant. Nabe qui ne sait que rire des autres. Houellebecq qui rit de soi. Nabe qui se prend les pieds dans la résurrection pour de simples raisons d’affectation théologico-astrologico-littéraire, Houellebecq qui donne cette impression d’être un ressuscité – et là, je parle de l’homme.
Donc Nabe aurait assassiné Houellebecq. Comme un mari jaloux sans doute. Comme un éternel mari, cocu magnifique ou « pathétique » pour reprendre ce mot de Houellebecq qui semble l’avoir sonné - en tous cas, mimétique. Nabe, cocu mimétique. Et de manière tellement évidente, tellement burlesque, qu’on en vient à penser qu’à lui tout seul il corrobore toute la théorie de René Girard sur la rivalité mimétique. Face à Houellebecq, Nabe est exactement comme Harold Lloyd (à qui il ressemble étrangement et auquel il s’était identifié dès ses premiers écrits) qui dans ses films a toujours incarné ce personnage du petit bourgeois qui rêve de grandeur et de reconnaissance sociale et qui ne sait pas comment faire pour intégrer une équipe, un milieu, un Goncourt. On comprend finalement pourquoi Nabe a été content du onze septembre : au moins deux buildings qu’il n’aurait plus à grimper ! Pour le reste, quelle énergie à prouver, depuis son Vingt-septième livre, et aujourd’hui dans toutes ses interventions (« une page dans Le Nouvel-Obs », « trois pages dans Le point » + les onze vidéos de Fluctat, sans compter les innombrables papiers de ses fans, tout cela hystériquement répertorié sur son site) à prouver que son destin est parallèle à celui de « Michel ». Jean-Edern Hallier autour duquel ils se sont connus. Le 103 de la Convention où ils ont tous deux habité, face à face. Le choix de Dieu qui a finalement préféré le zombie du cinquième étage au Surhomme du premier – Lazare plutôt que Job. Qui a voulu le best-seller pour l’un et le worst-seller pour l’autre. Qui a honoré le premier pour mieux l’humilier et qui a humilié le second pour mieux l’honorer. Enfin, ce que Nabe tente de faire croire avec un volontarisme si désespéré qu'il finit par foutre mal à l'aise tant on sent, on voit, l’immense ressentiment, l'amertume intergalactique à l’oeuvre. Car attention ! Toutes les qualités littéraires de Michel sont en fait des qualités nabiennes. « La carte et le territoire : un roman nabien» , mesdames, messieurs. Encore un peu et on accusait Michel de plagiat ! Il est vrai qu’il adore, ça, Nabe, s’insérer dans les œuvres et les destins des autres, rappeler toutes les dix secondes qu’il a joué avec Sam Woodyard, qu’il a serré la pince à Miles Davis, qu’il a trinqué avec Spaggiari, ou que même un jour, il a été pris en photo avec Naomi Campbell, le sacré veinard ! Quant à sa littérature, elle est faite de tous les gens qu’il rencontre, comme le disait Patrick Besson dans un salubre mouvement d’humeur. Zélig à fond, Marc-Edouard. C’est même l’un des enjeux de L’homme qui arrêta d’écrire de se faufiler dans La divine comédie de Dante. Faut-il avoir le goût de l’auto-damnation pour en arriver là.
Pour autant, il est certain, comme il est obligé de l’admettre sans toutefois bien le comprendre tant cela met à mal son credo de la pureté littéraire qui veut que quand on aime X on ne peut pas aimer Y (encore une histoire d’adéquation intégriste !), que les lecteurs de Houellebecq sont bien souvent les siens. Esprit anti-baroque au possible, Nabe et au fait Houellebecq, n’en reviennent pas de se retrouver objectivement avec les mêmes fans. Eh ! C’est que l’on peut être à la fois schopenhauerien et nietzschéen, les gars – d’ailleurs Nietzsche commence là où Schopenhauer finit : la Volonté de Puissance à partir de la découverte du Vouloir-Vivre. Le grand rire dionysiaque à partir du comique de la négation de la volonté. Rien de paradoxal ni de scandaleux en soi de passer du spleen au swing, ou le contraire, et d’aimer l’un et l’autre – sauf pour un esprit aussi « clouant » que Nabe et aussi kantien que Houellebecq. Comme le disait Pierre Ancery, me citant : « On se console avec Michel, on se purge avec Marc-Edouard» . Au fait, les nabiens, je suppose que quand vous dites « bravo à Pierre Ancery » qui fait un article élogieux de Nabe, vous m’incluez dans ce bravo puisque Ancery me cite. Non ? Zut alors ! Je n’ai jamais de chance avec vous. Mais que fais-je, mon Dieu ? Voilà que je cherche à m’insérer à mon tour dans le destin des autres, que je fais mon petit-bourgeois déplaisant et envieux, que je fais mon Nabe. Redoutable, cette théorie mimétique !
En attendant, le site de Nabe a fermé son forum, et c’est ce que je gardais pour la bonne bouche. Motif : trop de messages « débiles , (…) à côté de la plaque, pas drôles, spéculatifs, amateurs, suspicieux, désinformés, malveillants, hystériques aussi bien dans leur anti-nabisme que dans leur pro-nabisme, hors-sujets, et surtout d'une si grande bêtise, et d'une si grande médiocrité qu'il est devenu vite impossible pour notre équipe de continuer à effectuer son travail quotidien d'élaboration du site et d'archivage de documents sans être polluée par l'inacceptable dépotoir qu'était ce forum ». Eh bien, dites-moi, on est toujours le nabien d’un autre, à ce qu’il paraît. Et ils n’en peuvent plus, les nabiens, d’avoir affaire à d’autres nabiens bien pire qu’eux – des ultra-nabiens. Encore un peu et ils allaient crever de leurs trolls, nos trolls. C’est vrai que dans le genre messages « débiles, malveillants, hystériques, suspicieux… » (relire plus haut), nous avons eu aussi notre compte sur le Ring et nous avons été obligés à plusieurs reprises d’effacer des messages trop insultants et d’exclure des insulteurs trop acharnés. De là à tout fermer d’un coup…. En vérité, et sur ce point je suis bien d’accord avec eux, « un forum consacré à tel auteur n’est jamais représentatif à la fois des lecteurs de celui-ci et des visiteurs du site. » Exact : un forum est le contraire d’un cercle d’admirateurs. Un forum attire le plus souvent les ennemis de la ligne éditoriale que le site conduit ou de l’auteur auquel il se consacre. Y viennent écrire avant tout ceux qui ne sont pas d’accord, les contestataires, les empêcheurs de tourner en rond, tandis que les autres, ceux qui sont d’accord, gardent généralement le silence. C’est là le charme et la violence d’internet : ne jamais pouvoir dire tranquillement ce que l’on veut. Etre toujours menacé par mille fâcheux qui risquent de vous tomber dessus. Une forme de démocratie totalitaire de tous contre tous où chacun prend la parole contre l’autre et qui rend les choses très délicates à gérer. Et voici nos nabiens obligés de se cadenasser dans leur bunker (il y a déjà même un accès privatif à certaines de leurs rubriques) et de renoncer à cette « liberté infinie » dont ils étaient si fiers. Hélas ! Je suis prêt à parier que s’ils ont sagement décidé de ne plus se laisser envahir, ils ne vont pas se priver, eux, de revenir nous envahir - nous obligeant alors à les protéger d'eux-mêmes. A exercer sur eux, comme le disait Philippe Muray, une censure de premier ordre contre une parole de second ordre. Ils nous comprendront, j’en suis sûr.
1. Guy Mazeline, l’auteur bien oublié des Loups qui avait eu le Goncourt à la place du Voyage au bout de la nuit de Céline en 1932.
(Contre toute attente, les réactions ne vinrent pas des nabiens - et pour cause, nous décidâmes au Ring de fermer les commentaires pour cause de trollisme effréné de la part de ces derniers - mais du vénérable Yves Bernanos qui, prévenu, pour ne pas dire piégé, par on ne sait qui - enfin, on sait, mais pas grave - que son grand-père venait d'être gravement "insulté" par bibi dans son texte sur Nabe. S'ensuivit un droit de réponse accordé à ce dernier qui expliqua sentencieusement que contrairement à Bernanos, je n'avais pas encore risqué ma vie, et que j'étais rien qu'un petit narcisse crotteux aux "petits livres compliqués" (???) puis ma propre réponse, plus crotteuse que jamais, à celui-ci, et qu'on peut lire juste après ça si on n'a rien à faire.)
Droit de réponse d'Yves Bernanos à Pierre Cormary, le 24 novembre 2010.
Un article très récent de Pierre Cormary, publié dans Ring, vient de porter atteinte à la mémoire de mon grand-père, Georges Bernanos. J'en suis d'autant plus surpris, et peiné, que je n'ai à priori rien contre votre site, dont je connais certains chroniqueurs, lesquels sont habituellement plus inspirés que celui qui m'amène à réagir aujourd'hui.
En lisant le texte de Monsieur Cormary, je songeais à ces mots, attribués à Beaumarchais : "Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose"... Certaines contre-vérités sont tellement énormes qu'elles en seraient presque comiques si elles n'avaient un caractère infamant. Avant d'y répondre, on appréhende toujours de rendre service à celui qui les a proférées.
Et puis d'autres mots me sont venus à l'esprit, écrits par un "planqué" qui, en choisissant de rester en Espagne au moment de la guerre civile, essuya deux attentats de la part des services de Franco, avant que sa tête ne soit mise à prix par ce dernier. Le même homme qui, 22 ans auparavant et bien que réformé, se porta volontaire pour partager, durant 4 années, dans les tranchées, le sort de cette "aristocratie ouvrière" qu'il admirait. Cet homme, enfin, qui pour réaliser un rêve d'enfance et parce qu'il avait honte de l'attitude son pays face à l'Allemagne, partit pour le Paraguay avant de s'installer au Brésil, en juillet 1938, deux mois avant les accords de Munich. Il était alors handicapé, suite à un accident de moto, et âgé de 50 ans.
Dés juin 40, Bernanos mit sa plume au service de la résistance, dont il devint l'une des grandes voix pendant toute la guerre, abandonnant la création romanesque. Il entra en contact avec de Gaulle, qui accepta aussitôt ses services. Ses messages furent régulièrement lus à la BBC. Ses deux fils rejoignirent, en 41 et 42, la France libre.
Au fait, saviez-vous que ce terme de "planqué" fut utilisé, pour des motifs très probablement obscurs, à l'encontre de de Gaulle, lui-même en exil à Londres ? Quant à Pierre Cormary, peut-il se prévaloir, ne serait-ce qu'une fois, d'avoir mis sa propre vie dans la balance pour défendre une cause ? En ce qui le concerne, cette question mérite t-elle seulement d'être posée ?...
Voici les mots que j'évoquais plus haut. Ils sont extraits de "Sous le soleil de satan" et visiblement toujours d'actualité : "La jeunesse décimée, qui vit Péguy couché dans les chaumes, à la face de Dieu, s’éloigne avec dégoût du divan où la supercritique polit ses ongles. Elle laisse à Narcisse le soin de raffiner encore sur sa délicate impuissance. Mais elle hait déjà, de toutes les forces de son génie, les plus robustes et les mieux venus du troupeau qui briguent la succession du mauvais maître, distillent en grimaçant leurs petits livres compliqués, grincent au nez des plus grands, et n’ont d’autre espoir en ce monde que de pousser leur crotte aigre et difficile au bord de toutes les sources spirituelles où les malheureux vont boire."
Yves Bernanos
Précision du RING : la ligne malheureuse concernant Georges Bernanos dans le texte de Pierre Cormary n'engage que ses positions personnelles et en aucun cas celles de tous les auteurs et responsables du Ring.
La réponse de Pierre Cormary, le 25 novembre 2010
Cher Yves Bernanos,
Même si la disproportion de votre réaction m’étonne un peu par rapport au mot somme toute discret mais certainement malheureux que j’ai pu avoir à propos de votre illustre grand-père dans mon article : « Nabe, cocu mimétique », et qui dans mon esprit est loin de résumer ce que je pense de lui, comme cet autre article, commis en juin 2008 pour Le Magazine des livres, j’espère, vous le prouvera, je suis heureux de l’occasion que vous me donnez de pouvoir expliciter le rapport compliqué, pour ne pas dire passionnel, que j’ai toujours entretenu avec l’auteur de L’imposture.
Sans doute vous paraîtra-t-il d’une présomption extraordinaire qu’un simple littérateur comme moi qui vient d’avoir l’indélicatesse et sans doute la maladresse de stigmatiser ainsi votre parent ramène sa fraise et ose vous dire que celui-ci fut pourtant l’une des plus fortes expériences de lecture de sa vie et que celle-ci en a été transformée depuis ? C’est pourtant la vérité. Des personnages qui répondent à vos questions. Une inquiétude qui vous fait voir plus clair en vous. Un style qui touille l’âme Des pages qui changent la vie, et participent à une reconversion – voilà ce que furent les romans de Bernanos pour moi. Pour autant, celui-ci n’a jamais fait partie de cette catégorie prétentieuse et mondaine que je pratique non sans culpabilité et que l’on appelle ses « écrivains préférés ».
Outre que j'ai toujours eu un peu de mal avec les imprécateurs (qui me font toujours l’effet du prophète Philippulus dans L’étoile mystérieuse de Tintin, venu annoncer à grands coups de gongs la fin des temps et qu’on a envie, comme le fait d’ailleurs un moment Tintin, d’asperger d’eau fraîche) et encore plus avec certains de leurs fans qui trouvent de quoi déployer leur testostérone à travers l'héroïsme exagéré de celui dont ils ont fait leur gourou, mon idée était surtout de jeter un pavé dans la mare d'un auteur qui est devenu, du moins dans un petit cercle d’initiés, une sorte de saint prophète absolument intouchable. Pas touche à Bernanos. Pas touche à Léon Bloy. Pas touche à ces ex-infréquentables qu’on veut absolument transformer en incriticables. J’ai conscience qu’en vous disant tout cela, je marche sur des œufs, tant Bernanos est objet de vénération folle par ceux qui se retrouvent, ou croient se retrouver en lui, et pire, de vous déplaire.
Au-delà de cette provocation qui pourrait paraître puérile (et qui l’était comme toute provocation, mais bon, quoi ? J’étais sur Nabe, vous me comprendrez), peut-on prétendre à un rapport contradictoire avec un auteur ? Peut-on avoir été marqué au fer rouge par un Bernanos que malgré tout l’on n’aime pas tant que ça ? Peut-on admirer, o combien, les fulgurances de ses livres tout en ne trouvant aucune raison d’être édifié par un comportement que notre misérable scepticisme a toujours trouvé plus affecté que véritablement héroïque ? Non, Bernanos ne fut pas « planqué », ce n’était vraiment pas le mot, et là-dessus, j’ai raté une occasion de me taire. Comme vous le rappelez justement, et comme je l’écrivais moi-même dans mon ancien post, il a fait 14-18, il a été blessé, plus tard gravement accidenté, il s’est malgré tout, encore réengagé – on ne peut donc pas dire qu’il ait manqué de courage ni de bonne volonté. Par ailleurs, intellectuellement, toute sa vie est une rupture contre ses premières tendances, le royalisme, le franquisme, l’antisémitisme. C’est d’ailleurs cela que j’admire sans arrière pensée chez lui. Cette propension à avoir eu la force de penser contre lui, de trahir, si j’ose dire, sa famille d’origine. Mais que foutait-il alors en Amérique du Sud au lieu d'être, comme tout « le monde libre », à Londres ? Quelle erreur cartographique ! Quelle incongruité territoriale ! Il devait avoir ses raisons, évidemment, comme tout un chacun. Mais quand on s’appelle George Bernanos, on est dans le coup, on est aux côtés de ceux qui se battent même si on ne se bat pas soi-même, on ne joue pas les Malcolm Lowry de l’ivresse spirituelle (que j’adore au passage, je le dis au petit fils de Malcom Lowry s’il me lit ou si on le « prévient » !) à des milliers de kilomètres du drame qui se joue dans votre pays. Simone Weil, qui était bien plus fragile que lui sur le plan physique, et mille fois plus allumée (je préviens les héritiers de Simone Weil que quand je dis ça, c’est un compliment), y était pourtant bien, elle, à Londres. Au fond, ce type qui « a déménagé plus de trente fois », comme dit Wikipédia, fuyant sans relâche les honneurs et les clans, trouvant douteuse toute noble cause au bout de cinq minutes, systématiquement « déçu » par tout, m'a toujours semblé fuir avant tout lui-même, ses démons, peut-être une incapacité à se poser, une certaine insécurité plombante. Imprécateur instable en quelque sorte, incapable de surmonter ses contradictions, culpabilisé à jamais par sa jeunesse, « juif errant » plus qu' exilé véritable et qui après la guerre, ne sut plus à quel saint se vouer, ne trouvant refuge alors que dans un J’accuse permanent qui lui éviterait tout examen de conscience véritable et lui permettrait de s’en prendre jusqu’à la lie à la « médiocrité » des autres plutôt qu’à la sienne. Si ce sont ces conflits avec lui-même et son impuissance à les régler qui ont donné une si grande oeuvre, on ne s'en plaindra pas - et cela même si l’on aura le droit de continuer à trouver plus que léger son fameux paradoxe sur l’antisémitisme « déshonoré par Hitler ». Quelle impitoyable autocritique, vraiment !
Bien loin de moi l’idée de « juger Bernanos », mais justement, avec Bernanos, on a affaire à un auteur qui juge tout le monde du haut de son exténuante charité, et pire, à des suiveurs qui, vous jugent en se cachant derrière lui, nous obligeant à nous légitimer à notre tour, donc à multiplier les jugements de jugements – ce dans quoi cette réponse que je vous fais risquerait de sombrer si par exemple je m’attachais à décortiquer le chantage à l’héroïsme et à la cause que vous me faites bien gratuitement à la fin de votre post. Tant pis ! Il faut admettre les désaccords et les différences de point de vue. Et c’est pourquoi sur le plan politique et moral, vous me permettrez, cher Yves Bernanos, de préférer largement à Bernanos un Mauriac, plus sage, plus maîtrisé, plus souverain, plus serein, plus intelligent sans doute, et ayant de surcroit un sens de l'humour bien plus développé - toutes choses dont Bernanos était cruellement dépourvues et qui lui aurait peut-être évité de jouer ad nauseam les grands « dégoûtés » (voilà le mot que j’aurais dû employer à la place de « planqué » et que pour le coup, je ne retirerai pas).
Cordialement.
Pierre Cormary
Tout cela donc, d'abord sur le Ring : mon article sur Nabe (23 novembre 2010), puis la réponse d'Yves Bernanos (24 novembre) suivie de la mienne (25 novembre).
Sinon, Nabe a 52 ans aujourd'hui. Je ne sais pas si je dois dire "Joyeux Anniversaire".