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  • Défense de Rogue.

     

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    A l'occasion de la sortie de "Harry Potter et le Prince de sang-mêlé" (quel titre !), et en attendant un essai sur la différence entre littérature populaire et littérature savante, voici, pour la troisième fois, avec quelques ajouts, mon ancienne apologie de Severus Rogue  - écrite  en 2005 juste après avoir terminé la lecture de ce tome VI,  pour moi, le chef-d'oeuvre de la série (note du 21 juillet 2007)

    Séverus Rogue, c'est le petit garçon aux cheveux gras qui pleure dans son coin pendant que ses parents se disputent. C'est l'enfant mal aimé d'une mère neurasthénique et d'un père déficient qui a le nez crochu. C'est l'ado incapable d'aimer et de se faire aimer et dont les belles brutes blondes se moquent par excès de vie en l'envoyant tournoyer dans les airs au risque de le tuer. C'est le juif symbolique qui décide un jour de renier le sang impuissant de son père et d'exister par le sang aristocratique de sa mère née Prince. C'est l'élève brillant en potions et en magie noire qui jure de se venger des barbares qui l'ont tourmenté. Et pour cela qui choisit le camp du Seigneur des Ténèbres, ce Tom Jedusort, lui-même ex-enfant malheureux mais sorcier surpuissant et qui s'est re-baptisé "Lord" Voldemort. Cruauté de Dieu qui laisse les enfants perdus devenir des salauds et qui les punit après coup. Drago aussi est tyrannisé par un père abject et brutal. Mais tout semble aller dans le sens d'une prise de conscience et d'un retour dans le camp du bien. Il n'a pas pu tuer Dumbledore. Et il est apparu lui aussi comme "le garçon qui pleure" dans les chiottes des filles où Mimi Geignarde l'a surpris. Je ne crois pas que Jeanne Rowling abandonne ses deux meilleurs personnages à leur sort. Le lecteur avisé sent que ce n'est pas tant Harry qui est en danger de mort à la fin de ce sixième tome (le plus intense et le plus terrifiant de la série) que Drago et Séverus. Ce sont les méchants qu'il faut sauver, pas le héros qui se sauvera bien tout seul. L'on rêve d'une alliance des trois - ma potterfiction - contre Celui Qui, par contre, Ne Reviendra Jamais.  Le seul damné, c'est Voldemort, et c'est pourquoi il craint tant la mort - alors qu'il y a tant de choses bien pires qu'elle, comme le lui dit Dumbledore à la fin du cinquième tome. Avoir peur de la mort, c'est avoir peur de l'enfer. Sinon, il est évident que celle-ci est souhaitable. Elle est le gain infini comme dit Pascal.

    L'ordre du phœnix, c'était la difficile construction de l'Union Sacrée contre le mal, le mal qui vient non seulement de l'ennemi mais en plus de l'intérieur en la personne de Dolorès Ombrage, la grande inquisitrice de Poudlard venue briser à coups de "hum hum" toute volonté individuelle et dont les horribles punitions infligées à Harry n'auraient pas été déniées par le président Schreber. Heureusement, les jumeaux Weasley foutraient  un tel bordel dans l'école (de mémoire de Rusard, on ne vit jamais çà) qu'Ombrage serait chassée à grands coups de bottes magiques au cul et l'armée de Dumbledore pourrait s'envoler vers Londres pour sauver Sirius Black. Mais s'il n'est pas dit que tous les méchants périssent, il n'est pas dit non plus que tous les bon survivent. Et Sirius mourra, sauvagement assassiné par Bellatrix Lestrange. Dès lors, Harry Potter, de nouveau seul, privé de l'unique parent qui lui prodiguait de l'affection, devra affronter Voldemort dans un combat qu'une prophétie assure qu'il ne prendra fin qu'avec la mort de l'un d'entre eux.

    Après ce tome de transition (un peu trop long de l'aveu de son auteur lui-même),  ce Prince au Sang-Mêlé est du pur concentré, du quintessenciel survolté et s'impose comme le triomphe de l'équivoque ou du malentendu. D'abord, ce titre superbe. Faut-il être aussi connement intelligent que certains pour deviner sans problème qui est ce Prince ? Bien sûr que c'était évident - aussi évident que la lettre volée. Mais le moyen de rester lucide aussi en lisant Harry Potter ? Autant boire sans jamais être ivre. Absurde aussi l'objection "qu'il ne se passerait rien". Certes, pas de chambre de secrets cette fois-ci, pas de coupe de feu, pas d'araignées ni de serpent, pas même de balais volant -mais une scène de ménage digne de Strindberg chez les Gaunt, descendants déclassés de Salazar Serpentard et d'où descendra lui-même Voldemort. Car tout l'enjeu de ce sixième tome est de savoir qui est ce garçon qui a choisi d'être l'Hitler des sorciers. Pour cela, il faut plonger dans la pensine de Dumbledore, explorer les souvenirs de ceux, vieux ou disparus qui ont côtoyé Tom avant qu'il ne devienne Lord.  Depuis le début, Harry Potter est une quête du passé, une recherche des origines - on serait même en droit de dire que toute la saga est une aventure de la mémoire. Au fond, et c'est là, me semble-t-il la raison de ce succès phénoménal, ces romans d'initiation sont avant tout des romans d'archéologie familiale. L'enfant, on le sait, est l'égyptologue de ses parents et de ses grands-parents. Que s'est-il passé avant ma naissance ? Comment papa et maman se sont-ils rencontrés ? Pourquoi sont-ils morts ? Comment, moi, suis-je encore vivant ? Est-il vrai que papa ait été à mon âge aussi cruel avec Rogue que Rogue l'est avec moi aujourd'hui ? Est-il possible que ce Rogue ait été - attention, potterfiction- secrètement amoureux de maman ? Tout l'intérêt dramatique des Harry Potter et qui fait qu'on ne peut littéralement pas en décrocher une fois qu'on l'a commencé (lu ce tome en un jour et demi) réside dans ce suspense des origines.

    Donc, Rogue s'est donné le nom de sa mère. On dira que ce fut plus pour des raisons de pouvoir que pour des raisons affectives et l'on aura sans doute raison. Seulement, dans Harry Potter, les transmissions vont souvent plus que loin que prévu. Il n'était pas prévu que Voldemort transmette son don du Fourchelang à Harry en voulant le tuer. Il n'était surtout pas prévu, même dans un monde magique, qu'Harry survive au maléfice mortel de Voldemort. Or, en se sacrifiant pour son fils, Lily Potter lui transmet une sorte d'invulnérabilité qui fait que Voldemort n'a pu, ne peut et ne pourra tuer Harry. Mystique de l'amour maternel - le grand thème de Jeanne Rowling. Dès lors, pourquoi ne pas croire qu'Eileen Rogue née Prince est la meilleure partie de son fils ? Significatif que celui-ci ait repris le nom de jeune fille de sa mère, c'est-à-dire sa mère à l'état pur, non sali par le père, non ensemencé par l'homme, sa mère... virginale, sa mère... mariale ! Dans sa Présentation de Sacher-Masoch, Deleuze a bien montré que le rêve de l'homme (masochiste ou non) est de se faire réaccoucher par la mère, soit de naître sans père, sans Joseph, sans sang moldu - de naître comme un Christ.

    rogue, serment inviolable.pngRogue christique ? Pas exactement. Trop équivoque pour l'être, trop chargé d'anciens péchés, trop en conflit avec lui-même aussi - et pourtant comme il accède à l'exigence folle et pourtant légitime de Narcissa Malefoy qui lui demande pour protéger son fils de faire le serment inviolable. N'a-t-on pas vu que ce serment entre la mère de Drago et son professeur était  déjà une trahison envers Voldemort ? Que Rogue jure de donner sa vie pour une cause qui n'est pas celle du Prince des Ténèbres ? Que l'amour d'une mère pour son petit salaud de fiston et la complicité d'un "oncle" providentiel dépasse largement les intérêts de Ce Dernier, est presqu'en contradiction avec ceux-ci ? Pauvre Rogue, quand on y pense, détesté de tout le monde, qui depuis le début doit protéger Harry malgré la haine qu'il lui porte, qui lui a même déjà sauvé la vie, et qui désormais se retrouve le tuteur héroïque et sacrificiel de Drago ? On imagine ce que le magnifique Alan Rickman pourra faire dans ce rôle qui est devenu presque le second personnage principal de la série - ce  sixième tome s'intitulant précisément "Harry Potter et Rogue".

    Alors, cette mort de Dumbledore. Ce choc absolu. Non seulement la perte du personnage le plus rassurant de la série mais aussi et surtout la preuve que Rogue, sur qui l'on comptait tant, n'était qu'un traître de la pire espèce. Les primaires avaient raison ! Les méchants sont méchants, les gentils sont gentils - et un peu bêtes car ils font confiance aux méchants. Quant aux intellos, encore plus bêtes, toujours à vouloir sauver l'insauvable ou défendre l'indéfendable, les voilà pris en flagrand délit de déni de réel et de complaisance avec le mal. Que le soit-disant faux méchant se révèle un vrai méchant est dans l'ordre des choses et c'est tant mieux si les pro-Rogue vont se taper la tête contre les murs. Il est bon de revenir à une saine orthodoxie et de mortifier un peu tous ceux qui ont perverti leur intelligence et dévoyé leur sensibilité à force d' "attirance" pour le salaud. La morale de l'histoire, c'est qu'il faut cesser de plaindre Judas.

    Evidemment, c'est se faire violence que d'écrire comme cela. Personne ne peut adhérer pour de bon à un tel manichéisme. Pour nous qui avons décidé depuis longtemps de croire en Judas autant qu'au Christ, cette réalité ne se peut. Insoutenable que Rogue ait tué Dumbledore mais intenable que Rogue soit coupable. Ce serait comme si dans Les Misérables Jean Valjean redevenait voleur de poule, abandonnait Cosette et Marius et se faisait le complice de Thénardier. Non, cette morale puritaine ne nous intéresse pas. Et nous dirons les choses nettement : si Rogue est coupable, alors Jeanne Rowling a écrit un mauvais livre qu'il faut jeter aux ordures. Comme cela ne se peut, il faut chercher.

    Tout de même, bien des éléments vont dans notre sens : d'abord, Dumbledore ne peut s'être trompé à ce point. Si c'était le cas, cela voudrait dire qu'il ne faut faire confiance à personne, qu'il n 'y a rien de stable en ce bas monde, et que dans ces conditions, le mal n'est qu'un point de vue comme un autre - dans un livre pour un enfant, ça la foutrait mal. Rien de plus fort et de plus littéraire aussi que la jouissance de la vertu. Rogue innocent est une bénédiction pour l'âme.  Une réconciliation du bien avec la volonté. Une promesse de paradis. D'autre part, Dumbledore affirme depuis le début ne pas avoir peur de la mort. Voyez sa sérénité face à Drago ou rappelez-vous la façon dont il parlait de Nicolas Flamel dans le premier tome. On ne peut l'imaginer en train d'implorer Rogue de l'épargner. Son "ton suppliant", son bouleversant "Séverus, s'il vous plaît..." signifie bien autre chose qu'une plainte défensive. Et puis, et puis, que signifiait cette dispute entre eux, surprise par Hagrid ? Qu'est-ce que Dumbledore demandait à Rogue et que Rogue refusait de faire ? mais de le tuer, bien sûr... Trois bonnes raisons de le tuer : la première est d'éviter que Drago ne le fasse lui-même et devienne un assassin (le dialogue entre Dumbledore et ce dernier est un chef-d’œuvre d'intelligence et de délicatesse morales), la seconde est de donner la preuve ultime que Rogue est bien du côté de Voldemort (et donc, d'une certaine façon, de sauver Rogue aux yeux de ce dernier), enfin, la troisième, concevable mais inexplicable pour l'instant, est de continuer à protéger Harry, voire de l'aider à vaincre Voldemort. Ah certes, Dumbledore est d'une rare exigence vis-à-vis des gens pour qui il se sacrifie. Il demande à Rogue de le tuer comme il demandera à Harry de le torturer en lui faisant boire le liquide verdâtre de la caverne de Voldemort. Et Rogue acceptera au risque de se retrouver totalement isolé dans les deux camps. Aussi incompris et haï que Judas... à qui sans doute un jour Jésus demanda qu'il Le trahisse. Judas, l'homme qui accomplit les Ecritures, qui prépare la résurrection, Judas qui a le rôle le plus difficile et le plus ingrat mais qui fait partie du plan de la miséricorde pour tous. Judas, l'homme de Jésus jusqu'au bout.

    Et c'est pourquoi, en pleine poursuite finale, Rogue ne supportera pas qu'Harry le traite de lâche - "Vous m'avez traité de lâche, Potter ? Lorsque votre père m'attaquait, c'était toujours à quatre contre un, alors je me demande comment vous l'appelleriez, lui ?" Etonnante scène où Rogue se contente d'esquiver les sorts de Harry, ne lui en rendant aucun,  et, le comble ! lui donnant son tout dernier cours d'occlumancie. "- Paré, encore et toujours, jusqu'à ce que vous appreniez à vous taire et à fermer votre esprit, Potter ! railla Rogue en déviant une nouvelle fois le sortilège." - avant de lui sauver la vie, une fois de plus, en cessant net l'endoloris lancé par un Mangemort, prétextant qu'il revient à Voldemort lui-même d'exterminer son ennemi - alors que Voldemort est précisément le seul être qui ne peut pas le tuer ! Rogue, professeur même dans l'action. Et quelle action ! Longtemps, j'ai cru que que les scènes de bataille et de poursuite ne valaient qu'au cinéma. Quel idiot ! Celles écrites par Rowling sont plus indiana jonesques que tout Indiana Jones. Du jamais lu ! du jamais vu !  Ce sont les fims eux-mêmes qui paraissent statiques, en deça du texte... Enfin, comment ne pas voir qu'au moment où Harry le traite de lâche, Rogue révèle son vrai visage qui est aussi sa vraie douleur, une douleur qui, malgré son génie d'occlumens, cache quelque chose ? Pourquoi souffrirait-il autant  s'il était vraiment du côté de Voldemort ? Ce que le personnage ne veut pas dire, Rowling le révèle à son insu.

    "- Tuez-moi comme vous l'avez tué, espèce de lâche...

    - NE ME TRAITEZ PAS DE LACHE ! hurla Rogue. Son visage était devenu soudain dément, inhumain, comme s'il éprouvait la même douleur que le chien jappant, gémissant, coincé dans la cabane en feu de Hagrid."

    Ah Rogue... Corbeau sublime !  Il est l'une des plus fortes créations de la littérature d'imaginaire. A mettre entre le Chat Botté et Golum. Il est l'enjeu dramatique, moral et littéraire de toute la saga Harry Potter. Celui sans qui une lecture "adulte" de celle-ci ne serait pas possible. C'est grâce à lui que les enfants pourront se poser leurs premières questions morales. Est-il bon ? Est-il méchant ? Il est celui enfin qui tient dans ses mains le statut d'écrivain de Jeanne Rowling. Si elle l'abandonne, elle se discrédite, elle perd tous ses pouvoirs d'auteurs, elle devient une cracmolle.

     

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    PS :

    Vu le jour même de sa sortie, ce "Prince de sang-mêlé" n'est pour une fois pas à la hauteur, ce qui est plutôt étonnant puisque c'est le même David Yates qui s'y colle après la très grande réussite de "L'ordre du phoenix" (le meilleur "film" de la série à mon sens.) Assez plat visuellement, sans rythme, il manque singulièrement d'émotion (alors que le livre, son final surtout, est cardiaque) et sera incompréhensible pour ceux qui ne l'ont pas lu (ce qui était aussi vrai du précédent, mais celui-ci compensait par un vrai bonheur  visuel et dramatique). Tant pis, l'essentiel est que le Vatican ait aimé. Il aurait été dommage que ce grand Serdaigle de Benoît XVI passe à côté tout le temps de son pontificat. Par ailleurs, il sera très agréable à visionner en DVD autant qu'en bande-annonce.  On retiendra tout de même la révélation Tom Felton, Drago déchiré et déchirant, victime du Mal qu'il a endossé malgré lui, l'impeccable Alan Rickman, l'hystérie voluptueuse de ma chère Helena Bohman Carter qui époustoufflie chacune de ses trop rares scènes, et Jim Broadbent, Horace Slughorn de très grand choix. Bref, tous les Serpentards sont magnifiques ! Quant à Daniel Radcliffe, apparemment insignifiant (mais peut-il faire autrement ? De Tintin à Batman, le héros est toujours neutre de manière à ce que chacun se projette en lui), il reste HP jusqu'au bout. Très belle scène quand Rogue le surprend sous l'échelle et lui fait un signe de ne pas faire de bruit. Une façon encore de le protéger. A cet instant, père manquant et fils manqué se retrouvent...

     

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