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arthur rackham

  • Comme dirait l'autre

     

     

    A Astrid Blablabla...

     

     

     

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    Brouillon

     

    L’autre. L’opposé – le complément. L’adversaire – le diable. L’ennemi – le frère ennemi. Le traitre. L’étranger – l’alien. L’arabe, le noir – la Vénus noire. Le monstre – Elephant man / Freaks. « Les autres » (Lost)

    L’autre – la femme. Dieu.

    L’autre - le contraire du Même, mais le contraire est « Même ». Plutôt le non-symétrique. Le non-reflet. Le tiers. L’impair. Le philosophe et non le sophiste - Platon contre Protagoras. Le singulier et non la dialectique – Kierkegaard contre Hegel.

    L’autre -  le différent (Deleuze). Le différant (Derrida). Ce qui revient toujours. Ce qui diffère toujours. Le Snark (Lewis Carroll). Artaud et Lewis Carroll : le premier qui reproche au second de faire semblant, de rester dans le Même d’ailleurs, tout « pays des merveilles » qu’il est. C’est Artaud, et non Carroll, qui est passé de l’autre côté du Miroir (encore Deleuze).

    L’autre en famille. Les pères et les fils qui ne s’entendent pas (Stendhal et son père, Kafka et le sien). Frères et sœurs qui se tuent. Caïn et Abel. « J’ai tué le fils de ma mère, j’ai tué le fils de mon père », confessera un jour Michael Corleone dans Le Parrain III. La haine dans la ressemblance (consanguinité) / la haine dans la dissemblance(racisme). Le goût et le dégoût des autres.

    L’identité - Je est un autre (Rimbaud)

     

     

    Prostituée.jpg Amorce

    Ecrire, d’accord, mais sur quoi ? Sur moi ? Sur mon monde ? Mais qu’est-ce que je connais de moi sinon une suite d’humeurs d’ailleurs contradictoires ? Et qu’est-ce que je connais du monde sinon qu’il est bruit et fureur, songe et carnaval et tous ces clichés dont on ne sort jamais ? La faute à nos perceptions fausses, obscures, erronées, pleines de préjugés et de croyances, vaguement utiles car il faut bien vivre. Mais vivre ne suffit pas. Vivre, c’est bon pour les chiens et les esclaves. Il faut comprendre la vie (et comprendre, c’est jouir). Il faut écrire la vie. Ecrire pour comprendre la vie. Ecrire pour apercevoir autre chose. Ecrire pour ausculter l’inconnu.. « Comment faire pour écrire autrement que sur ce qu’on ne sait pas, ou ce qu’on sait mal ? », écrit Gilles Deleuze à la page quatre de Différence et répétition qui nous accompagnera tout au long de cette rêverie. Ecrire – c’est-à-dire se faire aveugle et voyant tout à la fois « On n’écrit qu’à la pointe de son savoir, à cette pointe extrême qui sépare notre savoir et notre ignorance, et qui fait passer l’un dans l’autre. C’est seulement dans cette façon qu’on est déterminé à écrire ». On écrit sur nos blancs, nos noirs, nos zéros, sur ce qu’on ne voit pas et qu’on voudrait voir.  On écrit sur la sexualité. Sur le mal (car la sexualité, c'est le mal, maintenant, j'en suis persuadé.) Je voulais écrire Caïn, j’aurais écrit Abel. Je voulais découvrir les Indes, j’aurais découvert l’Amérique. Il faut se laisser aller. En écriture, rien ne vaut l’écoulement, la fuite, la dépense – en fait, ce que nous sommes vraiment. Comment ? Que me dites-vous, Vebret ? Ce que je pense de ce problème de l’Autre ? Je n’en sais rien du tout. Laissez-moi écrire dessus et après je vous dirai . Mais c’est la dernière fois.

     

    comptoir-des-cotonniers-collection-hiver-2010-24.jpgOn a échangé nos mamans

    Notre monde ? Simulacres et simulations.

    Et peut-être aussi stimuli et simultanéités. Codes et vitesses. Social network. Facebook. WikiLeaks. Transparence absolue. Dissolution des identités. Je n’est plus un Autre. Je n’a plus besoin d’un Autre. Je se construit sans Autre. Ipséité VS altérité. L’identité – ce que je veux quand je le veux comment je le veux. L’identité comme avatar. L’identité comme simulation obligatoire.

    Qui simule le plus aujourd’hui ? Le croyant ? L’athée ? Le facho ? Le bobo ? L’annonceur ? Le fashion victime ? La mère, la fille, la mode ? Le pédé ? Le métro (sexuel) ? En tous cas, on fait toujours semblant de s’y intéresser, au sexe. Il faut bien se rassurer. Epuisement vital de notre civilisation, donc religion de l’érotisme. Au siècle de Louis XIV où l’appétit de vivre était grand, la culture officielle mettait l’accent sur la négation des plaisirs et de la chair ; rappelait avec insistance que la vie mondaine n’offre que des joies imparfaites, que la seule vraie source de félicité est en Dieu. Un tel discours ne serait plus toléré aujourd’hui. Nous avons besoin d’aventure et d’érotisme car nous avons besoin de nous entendre répéter que la vie est  merveilleuse et excitante ; et c’est bien entendu que nous en doutons un peu. Donc, copier-coller pour tous. Lanzarote pour tous. Croyance cool pour tous. Alors que le sexe, le vrai, nous fait horreur. Normal puisque nous avons évacué le négatif, puisque nous voulons un monde sans négatif, sans différence, sans risque de la différence, sans péché. Nous ne voulons que du même – que du m’aime. Nous ne supportons que du sexe sympa et cool – le contraire du sexe. L’autre, c’est ce qui est trop contrariant, et même dangereux. Evidemment, la belle-âme dit le contraire. Modeste mais digne, la belle-âme croit à la réconciliation de tous avec tous. La belle âme plaide pour une différence complémentaire et amoureuse. Alors que la différence, c’est toujours la haine et le conflit. Voyez les émissions de M6. « On a échangé nos mamans ». La maman spartiate qu’on place dans une famille de beatnicks et la maman beatnick qu’on jette dans la famille spartiate. Une méchante mise en scène que tout cela ? Pas sûr tant les gens sont toujours ce qu’ils sont, même encadrés. Pour la maman A, l’important est que les enfants soient honnêtes. Pour la maman B, qu’ils travaillent bien à l’école. Pour l’une, il ne faut jamais mentir, pour l’autre, il faut toujours se laver les dents. D’abord, obéir à ses parents. Non, d’abord, être le plus fort. Sensibilité contre sensibilité. Weltanschauung contre Weltanschauung. Il est là le tragique de la vie : l’autre, ce n’est pas un rapport du bien au mal. L’autre, c’est un rapport du bien au bien. Du beau au beau. Du vrai au vrai. Deux idéaux qui s’affrontent - voilà la différence pure, irréconciliable, positive et meurtrière. Et comme le dit Deleuze dans son Avant-propos : « lorsque les problèmes atteignent au degré de positivité qui leur est propre, et lorsque la différence devient l’objet d’une affirmation correspondante, ils libèrent une puissance d’agression et de sélection qui détruit la belle-âme, en la destituant de son identité même et en brisant sa bonne volonté. »

    comptoir des cotonniers,.jpgSurtout en philo.

    Comment par exemple concilier Deleuze et René Girard ? Le perspectiviste et le réaliste ?  Le nietzschéen qui ne lit Nietzsche que comme métaphore et contrôle intérieur des forces, volonté artistique de puissance ? L’anti-nietzschéen qui ne lit Nietzsche que comme réalité sociale et militaire et déchaînement extérieure des forces, volonté politique de puissance ? Pour le premier, le Surhomme est négation de l’aryen et l’aryen le triomphe du dernier homme. Pour le second, le Surhomme conduit (peut-être contre sa volonté, mais sa volonté est confuse) à l’aryen. Alors ? Dionysos, affirmation de l’Etre ou son génocide ? Dionysos contre la foule ou pour la foule ? Dionysos lynché ou lyncheur ? Finalement, des deux, c’est Deleuze l’athée qui est le plus spiritualiste et Girard le croyant qui est le plus littéraliste. Deleuze qui voit toujours autre chose derrière les choses. Girard qui ne voit jamais qu’une chose derrière les choses. Mais nous que verrons-nous ? Nous verrons avec Deleuze quand nous aurons affaire à un cul-terreux psychorigide à la Girard mais nous verrons avec Girard quand nous aurons affaire à un nébuleux babacool à la Deleuze. Aux crétins obtus de droite, Deleuze. Aux doux drogués de gauche, Girard. Toujours rétablir l’équilibre. Toujours savoir penser l’un dans l’autre, ou plutôt l’un contre les autres. Allez ! on se déteste, mais on "love" nos différences, comme disent les Ebel.

    Au moins Gilles et René sont-ils d’accord là-dessus : le non-être, c’est toujours la foule. Le barbare, c’est toujours le nombre – même si l’on peut-être « nombres » tout seul, « foule » en soi.


     

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    « L’effondement universel »

    Et pourtant, ce n’est pas si simple.

    Dans L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford, le singulier, l’autre, a priori, c’est Liberty Valance (Lee Marvin), abominable hors-la-loi, créature imprévisible et ultra-violente, d'une liberté absolue en un sens (et qu'elle porte dans son prénom),  lune sorte de liberté du mal, qui sème terreur et chaos dès qu’elle arrive quelque part et qu’on a bien raison de vouloir liquider. Sauf qu’il faudra là deux "bons" (James Stewart et John Wayne) pour vaincre le "méchant". Deux bons qui n’ont rien à voir entre eux et qui en d’autres circonstances n’auraient pas été d’accord, mais qui face à un tel déferlement de force négative doivent s’associer un instant – le temps d’abattre Liberty. Le temps que l’un (John Wayne) tue Liberty mais fasse croire que c’est l’autre (Stewart) qui l’a fait. La force au service du droit. Le cow boy au service du juriste et qui s’efface derrière le juriste – tandis que le juriste, lui, rejoint la cité, devient sénateur, et devra vivre toute sa vie son imposture sous sa légende.  Grâce à un autre.

    Au fond, il faut toujours un tiers, un impair, un autre pour pouvoir fonder quelque chose. C’est le problème de Platon dans Le Sophiste. Affirmer l’être via le non-être mais sans affirmer le non-être en tant que tel. Affirmer l’être via le non-être mais tuer la symétrie que l’on ne manquera pas de faire, que les sophistes ne manqueront pas de faire, entre être et non-être. Car si la nuit prouve le jour, la nuit n’est pas le jour. Si le noir prouve le blanc, le noir ne vaut pas le blanc. Mais ces deux exemples ne vont pas du tout, parce que justement il y a un être de la nuit et un être du noir et que nuit et noir ont une valeur infinie. Mais y a-t-il un être du non-être ? Si oui, alors cela veut dire qu’être et non-être ont tous les deux de l’être, donc, partagent quelque chose de commun et donc nous mettent dans l’impasse - l’impasse de la ressemblance. A contrario, si, le non-être n’a pas d’être et que seul l’être a de l’être, ou comme le dit Parménide, si il n’y a que l’être qui est et que le non-être qui n’est pas, alors on ne peut plus distinguer l’être en soi. L’être en soi est mais ne se distingue pas de ce qui n’est pas lui – qu’est-ce que l’on en a foutre alors qu’il soit puisqu’on ne le voit pas ? Il faut donc du non-être pour le voir. Il faut poser quelque chose qui n’existe pas pour éprouver quelque chose qui existe. Or, tant que nous sommes dans l’unité absolue (il n’y a que de l’être) ou dans la dualité absolue (il y a de l’être mais il y a du non-être, il faut qu’il y ait du non-être pour voir l’être), nous sommes coincés. Dans l’un, nous ne voyons rien. Dans le deux, nous ne voyons double. Et voyez, nous avons dit : « dans l’un et dans le deux » et non dans « l’un et dans l’autre », car le deux n’est pas l’autre.

    altérité,différence et répétition,deleuze,faux-semblants,simulacres,alice,artaud,lewis carroll,arthur rackhamLe deux est le double de l’un, son reflet, son miroir, son duel évanescent. Le deux est ce qui fait apparaître l’un dans le miroir mais qui fait que très vite le miroir va se confondre avec l’un – avec l’être, et ce sera le monde des simulacres. Un monde des simulacres dont on pourra éventuellement se contenter. Tout sera alors simulacre, reflets, modes, accidents, événements, expressions, puissances, coutumes (puisqu’il n’y a plus non plus de « nature des choses » ou que s’il y en a, on n’est pas en mesure de le savoir) – tout qui peut faire une vie après tout. Vie deleuzienne, soit de pure expression, pure affirmation, pure hallucination, où tout part du milieu, où tout fonctionne en séries, effets de surface, signes, rhizomes, résonnances, échos, où l’Etre n’est qu’expression, puissance et non plus ni principe ni fondement et où l’étant n’est que ce qui revient. Simulacre de l’être. Eternel retour des étants. La sélection n’est plus dans le choisir mais dans le revenir.

     « Affirmé dans toute sa puissance, l’éternel retour ne permet aucune instauration d’une fondation-fondement : au contraire il détruit, engloutit tout fondement comme instance qui mettrait la différence entre l’originaire et le dérivé, la chose et les simulacres. Il nous fait assister à l’effondement universel. Par « effondement », il faut entendre cette liberté du fond non médiatisé, cette découverte d’un fond derrière tout autre fond, ce rapport du sans-fond avec le non-fondé, cette réflexion immédiate de l’informel et de la forme supérieure qui constitue l’éternel retour. » (p 92)

     Le jeu de mot est clair et l’enjeu encore plus : toute la philosophie de Deleuze, et d’une certaine façon, toute la pensée moderne, consiste à vouloir penser l’effondement du monde sans effondrement. Une version d’un monde sans père. Une abolition de la père-version – ce qui peut apparaître d’un point de vue orthodoxe comme la perversion suprême. Et là où Deleuze se révèle plus perversif que jamais, c’est quand il prétend que finalement Le sophiste affirme le sophiste.

     « On se souvent de la fin grandiose du Sophiste : la différence est déplacée, la division se retourne contre elle-même, fonctionne à rebours et, à force d’approfondir le simulacre (le songe, l’ombre, le reflet, la peinture), démontre l’impossibilité de le distinguer de l’original ou du modèle. L’Etranger donne une définition du sophiste qui ne peut plus se distinguer de Socrate lui-même. »

    C’est contre ce coup de force de Deleuze que réagira Jean-François Mattéi dans L’étranger et le simulacre. Car cette philosophie brillante quoique purement esthétique ne peut rendre compte du réel qu’elle dissout dangereusement dans le rêve et fait que Deleuze pourra nous apparaître comme la belle-âme suprême.

    faux-semblants-.jpgSi nous voulons effectivement sortir de l’impasse de la doublure tout en ne renonçant pas à l’être, il faut aller ailleurs. Il faut aller à trois. Deux est le double. Deux est mimétique. Deux est jumeau. Deux est Faux-semblant. Deux "baise" la même femme. Deux est un pluriel qui se fait passer pour un singulier. Deux renvoie au mime, au même, au m'aime. Alors que Trois est l’autre. Trois est ce qui rompt le miroir, la symétrie ou la routine conjugal. L’adultère comme salut de l’être. L’amant ou l’amante comme Autre béni, qui nous délivre du Même qui ne m’aime plus ou moins. Trois est ce qui permet de médiatiser l’être par le non-être sans les confondre. Trois est cet Autre qui aide l’Etre à se débarrasser du non-être – dont il aura eu pourtant besoin pour de reconnaître en tant qu’Etre. En gros, il faut John Wayne. Il faut John Wayne (l’Autre) pour aider James Stewart (l’Etre) à se débarrasser de Lee Marvin (le non-être). Et il faut Lee Marvin (le non-être) pour faire apparaître James Stewart (l’Etre). Bref, le non-être permet à l’Etre d’être mais doit être immédiatement liquidé par l’Autre afin que l’Etre ne se confonde pas avec lui. A la doublure sophistique s’oppose la coupure philosophique. Au duo des mêmes s’impose le couple des autres. Homogénéité des uns. Hétérogénéité des autres. Stérilité des pairs. Fertilité des impairs.  Impuissance de la symétrie. Puissance de la dissymétrie.

     

    altérité,différence et répétition,deleuze,faux-semblants,simulacres,alice,artaud,lewis carroll,arthur rackhamImpair ou parricide

     Bref, il s’agit donc toujours de « faire la différence ». De sélectionner les modèles des copies, les idées des opinions, les principes des préjugés. Et c’est là la grande vertu du platonisme, salué par Deleuze le nietzschéen dans le chapitre « La différence en elle-même », que d’avoir instauré une division inégalitaire entre les choses et qui, loin de les réconcilier dans une sorte d’ordre médiateur et organique, pré-hégélien, « saute d’une singularité à une autre », « opère sans médiation », « agit dans l’immédiat », et ce faisant traces des lignées pures au sein du monde. Dialectique aristocratique et non démocratique, donc, modèle de division comme « recherche de l’or » qui tend à se débarrasser des prétendants, c’est-à-dire des contradicteurs, des sophistes. La contradiction comme prétention. Et le mythe pour l’annihiler. Le mythe ou le divin comme altérité transcendante. Le mythe ou le divin comme Autre suprême. Dieu ou l’Autre. 

    altérité,différence et répétition,deleuze,faux-semblants,simulacres,alice,artaud,lewis carroll,l'homme qui tua liberty valanceCiel ! Deleuze rejoindrait-il Platon jusqu’au bout ? Ca lui ferait mal ! Le père a sans doute de la classe, trop même, c’est pour cela qu’il faut le tuer. Ou plus exactement (car le tuer serait le faire revenir sous une autre forme : zombie, fantôme, et prendre le risque de s’oedipianiser ou de s’hamlétiser à jamais), l’empêcher de participer à notre ovulation – l’empêcher de nous spermatiser. Ce qu’il faut, c’est nous faire réaccoucher par la mère. C’est nous faire renaître sans père. Et c’est faire de la mère une Vierge qui nous corrigerait devant trois témoins – trois pères, trois principes, trois Archés mis au coin pendant que l’on fesse le fils. Tout Deleuze est dans sa présentation de Sacher-Masoch : la mère nous réaccouche sans père (et nous bat de notre lien au père, nous corrige au sens propre de notre ressemblance au père). La mère et le fils en symétrie, en parité (quoique le pouvoir appartenant à la mère), le père en tiers exclu, en impair évacué. Deleuze, philosophe de la vie par le milieu (le ventre), sans arbre ni graine, philosophe de la vie contre le monde, de la mère contre le père, de la matrice contre la loi ou de la matrice comme seule loi. Anti-Oedipe mais proto-Jocaste. Père manquant, fils manqué, mère maquerelle. La mère et le fils - deux « Autres » qui ne font qu’un « Même ». Deux Autres qui ne peuvent exister en soi. Deux Etres qui ne peuvent apparaître au monde. Car il ne suffit pas d’être pour être. Il faut un Autre pour être – ce que ne permettent pas les mères mais ce que permettent les pères. C’est la mère qui donne la vie, c’est le père qui ouvre au monde. La vie sans monde, c’est l’Etre sans Autre, c’est l’Etre qu’on ne distingue pas du non-être, c’est la vie qui ne se distingue plus de la mort.

     

    altérité,différence et répétition,deleuze,faux-semblants,simulacres,alice,artaud,lewis carroll,l'homme qui tua liberty valanceAlice / Antonin (piste à suivre)

     Pourquoi Antonin Artaud traite-t-il Lewis Carroll de petit pervers snob ? Parce que Lewis Carroll fait semblant, reste à la surface, s’amuse. Parce que l’analité de son langage à lui, Lewis Carroll, est surface sans profondeur, puérilité sans danger, chaos seulement onirique. Au contraire, le langage d’Artaud est profondeur sans surface, extraction pure et dure de l’horrible réalité du corps… et de l’âme, fécalité déchirante. « L’anus est toujours terreur, et je n’admets pas qu’on perde un excrément sans se déchirer d’y perdre aussi son âme et il n’y a pas d’âme dans Jabberwocky… », écrit-il dans une des lettres de Rodez. En Artaud, l’anus se confond avec la bouche comme le chier se confond avec le manger. A côté, l’œuvre de Carroll est « l’œuvre d’un homme qui mangeait bien, cela se sent dans son écrit » et qui en bon pervers savait compartimenter les choses : les mathématiques ici, les contes pour les petites filles là, le thé à cinq heure et la branlette à sept. Carroll, homme comme un autre. Littérateur qui fait semblant d’aller de l’autre côté du miroir, mais qui reste fondamentalement dans le même monde. Alors que l’altérité crucifiante d’Artaud ! L’être écartelé d’Artaud ! Pour le schizophrène, il n’y a en effet plus de surface entre les mots et les choses, et même entre les choses entre elles. Tout est là et tout éviscère. Tout est là et tout se mélange. Mélange de corps. Mélange dans le corps. Emboîtements. Pénétrations. Trouées. Triturage. Ecorchage. Plus de peau ni d’incorporel. Plus de surface ni d’humour. Que du corporel informe. Que de l’excrémentiel dans la nourriture, la chair, la matière. Sentir et souffrir. Parler et hurler. Mot hurlement. Signification agression.

    Parler à un schizophrène, c’est l’écorcher vif. Le langage n’est plus cette puissance qui recueille les effets incorporels distincts du corps et qui fait événement à la surface des choses. Le langage est torture sonore et peine corporel. Dire le soleil et être instantanément calciné. Artaud contre Carroll, c’est l’affect corporel du schizophrène contre l’effet incorporel du poète. C’est l’Etre qui pue la merde contre l’être qui sent le bonbon (si pratique pour attraper les petites filles). C’est l’Autre qui ressent sa différence jusqu’à la croix contre celui qui fait mine d’être différent. 

    altérité,différence et répétition,deleuze,faux-semblants,simulacres,alice,artaud,lewis carroll,l'homme qui tua liberty valanceEt Deleuze là-dedans ? Où dit-il à ses élèves qu’avant de philosopher, il faut d’abord se demander quel est son problème à soi, ajoutant que pour lui, c’était la douleur ? La douleur de l’être ? La douleur du sexe ? La douleur de la merde ? Tous ces agencements qu’il lui aura fallu pour en sortir. C’est pourquoi nous l’aimerons toujours, ce sublime hérésiarque. Nous comprendrons la dérobade permanente devant le réel, l’Arché du réel, qu’a pu être sa philosophie. Tout est simulacre, tout devait devenir simulacre car tout était originellement excrémentiel. L’arché était un bourreau, le monde un immonde, la loi une sadique – et le masochisme un refuge. Et la vie possible seulement par le milieu. Renaître au milieu ou crever, telle est la question. Si le schizophrène souffre d’une faillite de la surface (qui va de pair avec une faillite du sens), le pervers est celui qui maîtrise la surface mais pour se défendre de l’horrible profondeur. Le pervers est celui qui a conscience du corporel informe et qui est obligé de le subvertir, de le pervertir, de le polluer, pour pouvoir survivre. Le pervers est celui qui fait de l’affect corporel un effet corporel  ou un affect incorporel. Le pervers est masochiste pour se protéger du sadisme. On en revient toujours là.

     Mais c’est la dernière fois.

     Deleuzienne année 2011 à tous !

     

    [Cet article est paru dans le numéro 15 des Carnets de la philosophie de janvier 2011 puis une première fois sur ce blog, le 07 avril 2011.]

     

     

     

     

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