L’araignée de la croyance,
OU
Il faut freiner le temps,
OU
La Contre-Réforme en marche
« Ce qui est mortifère, c'est la croyance réelle, écrivait Daniel Sibony à propos de La tempête. La croyance non réelle (celle qu'on a la faiblesse de croire...) est plutôt une forme d'amour. Mais la haine et le meurtre procèdent du flash narcissique issu de la croyance réelle : du réel granitique des croyances. (...) Fonder soi-même la valeur donne au réel des airs de mort. La mortification narcissique c'est de fonder soi-même la valeur : si ça réussit, c'est le délire ; si ça rate, on croit que ça peut réussir en s'y prenant mieux : d'où la répétition. »
Plus qu’à La tempête, c’est au Conte d’hiver que ces lignes fondamentales de Sibony conviennent d’abord. A Léontès, cet Othello qui n’a pas besoin de Iago pour se manipuler lui-même, roi de Sicile, qui va un jour se persuader tout seul que sa femme Hermione le trompe avec son ami d’enfance, Polixénès, le roi de Bohême - et à cause de cette jalousie imaginaire, provoquer le malheur de deux royaumes, et le sien en particulier, avec la mort son jeune fils, Mamillius, et de sa femme Hermione.
La croyance réelle, c’est en effet la mort. Le délire. La folie. Non pas qu’il faille être athée (qui est une autre forme de croyance réelle), mais enfin, la foi n’a jamais été une affaire de certitude, ou de savoir, ou de preuve, mais de confiance, d’espérance, d’amour. Croire en Dieu a toujours été flou, même pour un mystique, même pour le Christ en croix dont il ne faut jamais oublier, comme le rappelle Chesterton, que lui-même, se sentant abandonné par Dieu, « ait semblé, pour un instant, être athée. » (Orthodoxie, Le roman de l’orthodoxie, page 210, Idées Gallimard.)
En vérité, il faut toujours mettre un peu d’irréalité dans sa croyance, si on ne veut pas à la fois y succomber ou la perdre. Il faut tenir les deux bouts, croyance et doute, illusion et vie – illusion vitale, foi vitale. En l’occurrence, dans cette pièce incroyable, faire semblant de croire à la résurrection d’Hermione - qui n’est pas une vraie résurrection, qui est un simulacre de résurrection, mais qui agit sur les autres comme une résurrection, soit quelque chose en quoi il sera doux de croire pour recevoir le pardon et se réconcilier avec soi-même.
Quoique l’enfant, lui, ne ressuscitera pas. Contrairement à sa mère, il était vraiment mort. De toutes les tragi-comédies de Shakespeare, celle-ci l’est vraiment. Tout le monde ne revient pas.
Mais reprenons depuis le début.