"Cher Michel Onfray,
après mûres réflexions suscitées par votre ouvrage sur Freud, je me suis rendu à l'évidence. Sigmund est un génie de la pensée, l'un des plus grands connaisseurs de l'âme humaine - et je crois que sans vous, je ne m'en serais jamais aperçu. Prenant la suite de la théologie, la psychanalyse a creusé l'homme comme aucune autre science humaine ne l'avait fait avant elle. Comme la Bible, la psychanalyse place le négatif, la blessure, la souffrance, au centre de l'existence humaine. Le péché originel s'appelle chez elle castration. La loi du père n'est autre que la loi de Dieu. Les problèmes de communication - de langage - étaient déjà ceux de Moïse et Aaron. On pourrait multiplier à l'infini les correspondances entre la vision biblique du monde et la vision psychanalytique. En vérité, ce sont les mêmes. Comme la Bible, mais aussi comme les Tragiques, la psychanalyse considère la sexualité comme le lieu de toutes les morts et de toutes les violences. La psychanalyse fait de la sexualité le rapport tragique par excellence - et j'oserais ajouter "identitaire", et c'est pourquoi, à l'heure où l'on fait étudier en classe de cinquième les théories Queer, elle est si violemment rejetée. La psychanalyse ose de plus placer ce rapport au coeur de la famille. Le sexuel, c'est d'abord le familial. Oedipe et Caïn. Electre et les autres. Le roman familial comme ce qui marque le plus un individu. La souffrance sexuelle comme la plus durable et souvent la plus inavouable. La merde au centre de l'être. Comment ne pas reconnaître cette vérité absolue de la condition humaine ? Comment être antipsy sur ce point ? Certes, et votre le livre le montre jusqu'à la nausée, l'homme Freud a commis d'innombrables erreurs, peut-être même des fautes morales, mais est-ce vraiment une histoire de belle-soeur qui remet en question la probité d'un penseur ? En tous cas, c'est donc bien grâce à vous et votre méchant livre que j'ai reconsidéré entièrement l'oeuvre de Freud, Jung, Lacan, et les autres, et que le 30 mars 2012 à 15 h à Montparnasse j'ai entamé une véritable analyse auprès d'un psy réputé, à la fois psychiatre, psychanalyste et psychotérapeuthe. Un lacanien de la vieille école qui ressemble un peu à George Steiner. Hier fut la quatrième séance. J'aime beaucoup me retrouver dans ce cabinet un peu miteux des années 70. J'aime encore plus considérer, pendant que je me vide l'âme et le ventre, ces têtes de nègre, ces statuettes primitives posées sur les étagères de sa bibilothèque et qui m'incitent à descendre en moi. Il n'y a qu'entre le totem et le tabou qu'un homme peut être vraiment homme, vous savez. A la dimension verticale de la foi que j'ai toujours pour le Christ, Marie et les anges s'ajoute désormais la dimension horizontale, excrémentielle, scientifique de mon être - et à la fin ça fait une croix que le génial juif viennois (et mon psy fait très vieux juif viennois), m'aide à porter. Les voix de Dieu sont décidément impénétrables, et vous, Michel Onfray en avait été une pour moi. Aussi voulais-je vous remercier pour cela.
Pierre Cormary"
(Brouillon d'une lettre jamais envoyée)
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"Cher David Cronenberg,
je tiens votre avant-dernier film, A dangerous method, comme l'un des plus beaux qui soient. Sans conteste celui que je préfère de vous, "mon Cronenberg" si j'ose dire, où le goût de l'expérimentation visuelle et narrative va de pair avec le goût du récit et des personnages. Moins abstrait que d'habitude, moins distancié surtout, plus lisible, d'une douce sophistication, passionnant de bout en bout, clinique et chaleureux, et à la fin étonnament érogène. Il n'y a que vous pour transformer le refoulé en excitant. Rarement je me suis autant identifié à un personnage, Sabina Spielrein en l'occurrence. Rarement, je n'ai été autant pris à partie par la force tragique, puis érotique d'une actrice, la merveilleuse Keira Knightley (que certains ont accusé d'en faire trop dans la souffrance simiesque alors qu'elle est tout bonnement géniale et d'ailleurs génialement bonne, au sens que vous savez). Car comme vous imaginez, mon esprit s'est empressé de tourner les choses, en fait de les retourner, à mon avantage fantasmatique, et que si je suis Sabina, je suis un Sabina homme, avec mon corps de couenne et ma tronche de cake, et c'est alors Keira Knightley qui est à la fois Freud et Jung avec moi. L'inconscient, qui est une sorte de cinéma intérieur, permet ce genre de transfert transsexuel et je me vois mal m'en priver. Que de choses extraordinaires nous louperions si nous n'avions pas d'inconscient, dites-moi ? Bref, me voilà à faire mon film à partir du vôtre. Et peut-être en passant par celui de Stéphanie Hochet qui dans son dernier livre Les Ephémérides, que je vous recommande, met en scène une prostituée stantonienne et qui d'après ce qu'elle déclarait dans une interview (l'auteur, pas la prostituée - encore que l'art est prostitution comme dirait l'autre) pourrait avoir les traits de Keira Knightley. Quel beau film cela pourrait donner... Les Ephémérides, le nouveau Cronenberg ! Quoiqu'il en soit et en attendant ce prochain film, cette Dangereuse méthode, à l'instar paradoxal d'un mauvais livre du plus mauvais philosophe français, m'a redonné le goût de la psychanalyse et a suscité l'envie d'en faire une. Je ne sais pour l'instant ce que celle-ci donnera, mais c'est un fait que dès mon premier rendez-vous pris avec ce lacanien grisonnant à la barbe hésitante, et cela même avant de le rencontrer, je me suis senti immédiatement plus fort et plus confiant. Prendre une décision et m'y tenir est tellement rare chez moi qu'il m'a semblé que je flirtais là avec quelque chose relevant de la sainteté. Ou plutôt que l'esprit saint daignait descendre vers ma misérable âme et l'épousseter un peu. Bref, Freud, Keira, le Saint Esprit, la Sainte Famille, l'inconscient sans entraves, la demoiselle Hochet, tout se mêle en un délire interprétatif qui est aussi un délice. Peut-être que tout cela donnera un jour mon film, je veux dire mon livre.
Avec toute ma reconnaissance.
Pierre Cormary"
(idem)
A part ça :
Demain, six mai, anniversaire... de Freud !
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Demain soir, évidemment, élection de notre nouveau président et avec elle, la fin de cette campagne éprouvante (donc passionnante, contrairement à ce que tout le monde et Jacques Cheminade disaient), ce qui nous fera du bien à tous, celle-ci ayant mis tout le pays à cran, y compris entre amis et parents. Les gens de droite désespèrent trop. Les gens de gauche s'indignent trop. Dans tous les cas, ce sera un vote historique : il serait en effet historique que Sarkozy vainque cette pathologie qu'on appelle l'antisarkozysme et repasse dans les conditions actuelles, mais il serait tout aussi historique qu'Hollande gagne et devienne alors le second homme politique après Mitterrand à avoir fait accéder la gauche au pouvoir. Quoiqu'il en soit, l'heureux élu aura sa raison d'être, tout vote ayant d'abord une valeur existentielle. Là dessus, même si ce n'est pas mon candidat qui l'emporte, je crois à l'esprit saint qui agit sur les peuples. Et le désastre peut être aussi une providence.
(Pourvu qu'il ne nous refasse pas le coup de la rose et du panthéon tout de même !)
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Cette année, je découvre les filles de vingt ans. Elles sont cinéphiles, geeks, très avisées. Elles sont en mieux ce que nous étions à leur âge. Facebook aura été leur chance. "Mais comment faisait-on avant ?", demandent les abominables partisans de l'authentique. "Avant, on se faisait chier", réponds-je toujours avec humeur. Rappelez-vous. Ces après-midis perdues, ce vide de nos chambres, ces murs sans écrans ni amours, ces corvées sportives ou amicales imposées par nos parents qui se désespéraient qu'on reste à l'intérieur alors que nous, c'est l'extérieur qui nous désespérait. Comme s'il s'agissait de prendre l'air pour s'épanouir ! Tout ce soleil inutile, ces soirées fausses, ces amitiés sans affinités. Tout ce réel vain. Qu'est-ce que cela aurait été différent si nous avions eu dès quinze ans nos murs, nos statuts, nos amis choisis, nos photos, nos débats, nos blagues, nos like, nos pokes. En vérité, nous les quadragénaires dépressifs, nous avons toujours été des nerds mais des nerds sans ordi, des nolifes privés de jeux vidéos. Bon, j'exagère un peu : on a eu Atari. Yard's revenge. Berzerk. L'affreux Otto (le premier personnage perturbant du jeu vidéo, d'après ce que j'ai appris.) Et le Minitel. 3614 KLOK. Le début de ma vie virtuelle, c'est-à-dire de ma vie intéressante. Je le disais récemment sur Facebook : ceux qui ont une vie virtuelle ont une vie réelle mille fois plus riche et plus intense que ceux qui n'ont qu'une vie réelle.
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Toujours grand train avec mes copines en "on". Anne et Cécile.
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Toujours "husbands en bellevilloise" avec Athos, Porthos et Aramis - et le mois dernier, avec notre petite Milady Cléopâtre.
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De nouvelles rencontres : la polonaise AB et la photographe des Abbesses.
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Je me fâche rarement avec une amie. Et pourtant, c'est arrivé ce mois d'avril. Depuis, nous sommes en paix, c'est l'essentiel. Mais je ne sais pas si nous nous reverrons. Je ne sais pas si nous avons intérêt à le faire. <3
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Mon prochain article portera sur Matisse, peintre du et de bonheur (à propos de l'expo Beaubourg). Changer d'air.
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Mes trois nouveaux modèles d'écrivains français : Emmanuel Carrère, Richard Millet, Jacques-Pierre Amette.
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Paimpol II bientôt.
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Mes deux nouveaux classiques préférés : Saint-Simon, Tchékhov.
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Ma découverte spirituelle : Maître Eckhart.
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Mes nouveaux nombres : non plus 134 kilos, mais 120. Non plus 15 ou 16 de tension, mais 12, 9 - grâce au Fortzaar. Gare aux deux médicaments contre la tension que j'ai pris trois semaines et qui m'ont donné des palpitations et surtout m'ont fait faire la première crise de tachycardie de ma vie. En pleine nuit, à cinq heures du matin. J'aurais dû appeler les urgences, m'a dit mon médecin.
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"Car le vice rongeant ma native noblesse
M'a comme toi marqué de sa stérilité."
Ma persistance brêle en matière d'écriture et d'amour.
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Je n'arrive pas à me défaire de cette idée totalement adolescente et impie que « l’amour est une forme de déchéance », comme le dit Richard Millet dans La confession négative (le plus beau livre de guerre lu dans ma vie.) C'est aussi pour ça que je consulte.
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"La différence entre les autres et vous, me disait Joseph Vebret récemment, c'est que les autres frappent à toutes les portes et personne ne les veut, alors que vous, tout le monde vous veut, vous ouvre sa porte, mais c'est vous qui ne voulez pas de vous. Alors pensez un peu plus à nous et un peu moins à vous. Et mettez-vous à vous vouloir."
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Ce qui est sûr, c'est que dans trois ans, j'arrête ce blog.