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mémoires d'un snobé

  • Golgotha mondain

     

     

    Cet article est paru dans Le magazine des livres, printemps 2012 et s'est trouvé une troisième vie ce dimanche 9 septembre 2012 dans LE SALON LITTERAIRE, le nouveau site en ligne, foisonnant et interactif,  de Joseph Vebret et Loïc Di Stephano.



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    « Et quand je serai mort
    J'veux un suaire de chez Dior! »

    Boris Vian, J’suis snob

     

    Ah le snobisme ! La seule chose au monde que nous ne pardonnons pas ! « Nos puissances d’indignation sont infinies lorsqu’il s’agit de snobisme, écrivait René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Ce crime est le seul, peut-être, que notre littérature d’avant-garde, pourtant si éprise de justice, ne songe jamais à "réhabiliter" ». S’il ne fallait ne retenir qu’un seul mérite au livre drolatique de Marin de Viry, qui en contient bien d’autres, ce serait d’avoir tenté la réhabilitation de celui-ci. Le snobisme vu non du point de vue pratique, moralisant et hautain de celui qui snobe les snobs (et qui l’est d’autant plus qu’il les méprise car comme l’écrit encore Girard : « l’indignation qu’excite en nous le snob est toujours la mesure de notre propre snobisme »), mais de celui, autrement plus risqué, du snobé – soit de l’humilié, de l’exclu, du Ridicule (au sens de Patrice Leconte). Une sorte de désespoir du pauvre en quelque sorte ou d’enfant pas assez gâté – qui fait d’autant plus mal que ce mal sera moqué ou blâmé. Car souffrir d’être snobé est souffrir deux fois : à la vexation sociale s’ajoute la mortification morale. « TLBM » (« tu l’as bien mérité ») comme on dit en langage « VDM » [« vie de merde »].

    C’est que le snob, contrairement au criminel, appartient à l’univers de tout un chacun. Il est donc plus facilement identifiable puis méprisable car il incarne tout ce que nous faisons mine de condamner : la trahison de soi-même, la mutation mauvaise de l’être en paraître, le mimétisme. En singeant autrui, le snob flétrit son être - et pire remet en place des frontières sociales que nous avions cru abolies depuis longtemps. Est snob en effet celui qui s’asservit à une hiérarchie sociale imaginaire – généralement germanopratine. « Dans une société où les individus sont "libres et égaux  en droit" il ne devrait pas y avoir de snobs, explique Girard. Mais il ne peut y avoir de snobs que dans cette société. Le snobisme, en effet, exige l’égalité concrète. Lorsque les individus sont réellement inférieurs ou supérieurs les uns aux autres il peut y avoir servilité et tyrannie, flatterie et arrogance mais jamais snobisme au sens propre du terme ». Le snob ne peut donc exister qu’en démocratie – soit dans un monde où les castes sociales n’existent plus mais ont été recréées artificiellement. Pour lui, le vrai problème est de savoir qui donne le ton et qui suit. La duchesse de Guermantes hier, Frédéric Beigbeder aujourd’hui.

     

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    Comme le note le narrateur Marius de Vizy, hélas plus proche de Legrandin que de Charlus, « le snobé appelle et le snobant filtre. Le snobé désire, le snobant décide. Le snobé réclame souvent, le snobant dispose rarement. » Lui-même, Marius, reconnaît qu’il « fait partie des suiveurs contents d’être là mais pas des leaders » - quoique obligé, pour survivre, de se faire « flic » des regards des autres. Que d’efforts et de sueurs pour en être, même en tant que consort ! Un dîner en l’honneur de Houellebecq à organiser avec Marc Lambron et Michel Crépu, « du lourd », et qui va l’épuiser ; un déjeuner crucifiant avec son éditeur qui « flingue ses auteurs pour les ressusciter » (et une scène en passe de devenir culte pour tous les apprentis littérateurs) ; une sauterie surréaliste chez Frédéric Beigbeder lors de laquelle tout le monde se demande s’il va conclure, sinon baiser, avec Caroline, l’être aimé et la seule créature qui pourrait le sauver de tout ça. Car dans ce monde d’artifice ou l’unique brutalité a cours (« c’est dingue, on s’est pas vus depuis dix ans et on se reméprise en deux secondes », constate le héros en croisant une journaliste politique devenue star des ondes), le snobé tente de sauver les apparences autant que ses vrais sentiments. Et c’est cette schizophrénie permanente qui fait le sel de ces Mémoires moins improbables qu’il n’y paraît. Combien de gens méprisent-ils en effet le « grand » monde pour la secrète raison qu’ils s’y sont cassés les dents ? Combien de frustrés de la jet-set ? En vérité, on est moins blessé par le salaud qui vous a fait un coup bas que par le snob accompli qui s’est moqué de votre tentative avortée de snobisme. L’humiliation impardonnable d’avoir été confondu dans sa tentative d’ apparence par des gens qui ont réussi la leur. La blessure inavouable d’avoir été dégommé dans son snobisme par des snobs plus forts que vous. Et c’est pourquoi ce livre, derrière son sujet apparemment local (les déboires d’un raté à Saint Germain des Prés) pourra parler à tout le monde tant le snobisme, c’est-à-dire la lutte des apparences entre elles, se retrouve partout, de la cour de récréation au Rotary, du Marais à Fouilly les Oies. 

     

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    Livre du désenchantement, donc, mais aussi livre joueur. Délires typographiques, titres de chapitre en forme de pastiche (« son Miele est plus gros que mon Bosch »), utilisation du petit a, petit b, petit c qui reviennent comme un running gag dès que le héros a des soucis existentiels - tout est là pour souligner les vanités malheureuses de ceux pour qui exister consiste à être de l’After avec la bande à Beigbeder au Montana (dans son Limonov, Emmanuel Carrère parlait aussi de la souffrance qu’il y eut pour lui, alors jeune littérateur en devenir, de n’avoir jamais osé franchir les portes du Palace…) Tout est tordu en ce monde d’écrivains et de crevures : le prophète cadavérique qui emmerde tout le monde avec la mort de la littérature – « un con qui se prend pour Léon Bloy sous prétexte qu’il a un teint d’endive et l’injure à la bouche » ; l’animateur de télé imbu de lui-même et qui vous montre qu’il n’en a « rien à cirer » de vous ; ou même Marc Lambron, l’ami sincère du héros mais qui a droit à son portrait saint-simonien. : « son visage est trois fois enroulé dans une écharpe de soie qui lui part du cou et arrive sous le nez, ce qui doit être un truc pour que le regard d’autrui aille plus vite au centre de son visage, dans lequel le point remarquable est constitué de ses yeux mi-clos de fumeur de pétard qui ne fume pas de pétard. » D’ailleurs, Saint-Simon, tout comme René Girard, mais aussi Proust et Breat Eston Ellis, font partie de ces écrivains « qui s’intéressent aux raisons pour lesquelles on tombe malade de ne pas être dans les chaussures d’un autre… » Certes, on peut toujours tomber sur un attaché de presse exalté qui vous redonne foi en vous, ce David Spoken, sorti tout droit d’un album de Marvel ou d’un opéra de Wagner, directeur de la revue en ligne « L’anneau », et qui promet au pauvre auteur de le décoincer question intérêts personnels et de le faire « entrer dans la vraie putain de logique de construction d’une fucking carrière » sauf si celui-ci « préfère rester un fucking loser à attendre comme un con que la brique d’or du succès tombe sur sa tête de touriste. » Affres des réseaux sociaux. Tortures par l’espérance et retours sisyphiens de son impuissance. En vérité, le gotha est un golgotha.

    Et ce n’est pas un hasard si ce roman tragicomique s’enchâsse entre deux enterrements, ceux de Jérôme et de Charles, amis intimes du narrateur et qui avaient réglé de longue date le rituel, soit le mode social, de leur entrée dans l’éternité, l’un par « la cérémonie ostentatoire dans un cadre dépouillé » à Saint Louis des Invalides, l’autre par « la cérémonie dépouillée dans un écrin baroque et doux » à Saint Sulpice - « le point de rencontre entre le fini et l’infini » étant comme tout le reste une affaire culturelle. Dans une vie de snob comme dans toute vie, mondanité et spiritualité cohabitent. Il s’agit toujours de savoir si l’on va « rencontrer un vrai principe ou se pisser dessus ». A moins que l’on arrive à jouer sur les deux tableaux, le vrai et le faux, le sincère et le calculé, le charitable et le libéral, tels « ces êtres expérimentés et reclus d’impressions (…) simultanément capables d’éprouver une tristesse sincère et de songer à leurs intérêts immédiats. Tandis que les humbles, habitués à perdre leur temps, s’abîment entièrement dans la douleur. » Las ! Le double je(u) n’est pas une vie. Et à la fin, le mimétique pleure.


     

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    Loïc Di Stefano


     

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