Coeur blanc, 1994
Lauve le pur, 2000
Ma vie parmi les ombres, 2003
En écoutant Les Préludes de Liszt.
Les affects qui se mélangent et dont seule la littérature rend compte (sous l’égide de Faulkner)
SIOM
Une nuit avec Marina. Une nuit (qui est aussi la mille et unième) à raconter sa vie à une femme (comme déjà Lauve racontait la sienne aux femmes du Pré de Nespoux.)
« … toi et moi, lorsque nous roulons dans ce temps élargi qu’on appelle le plaisir et puis sans ce plaisir non moins considérable qu’est, pour les amants épuisés, alanguis, apaisés, la conversation d’après l’amour : ce clair-obscur de la voix, cette parole qui porte encore sur l’amour, ces mots dans lesquels nous cherchons la vérité de ce à quoi, nous venons de nous livrer, plus nus que nous le serons sur notre lit de mort… » (p 17)
Temps perdu. Temps féérique. Temps qui deviendra Amour.
« …. Lorsqu’on en serait venu au récit émerveillé et toujours recommencé par lequel les amants cherchent à entrer plus avant dans le leurre amoureux, instaurant un ordre de temps où elle acceptait d’entrer avec moi comme en un livre… » (p 42)
Les noms qui font rêver - même « Marie de la Morvonnais ». Les noms comme des visages.
Recueillir les noms, les morts, les ombres. La transfiguration par le nom.
« …les femmes destinées à nous placer sous leur loi celles qui nous déplaisent d’abord… » (p 21)
Marina qui penserait déchoir comme amante moderne si elle ne suçait pas (p 25)
Femme et écriture. Femme et lecture.
Rappeler ce monde « d’où ces odeurs [qui] avaient déjà disparu, le patois, la tuberculose, les grandes familles, le sens de la syntaxe, et les mystères du christianisme. » (p 26)
Les odeurs des vêtements qu’on a portés sans se laver. Il aime toutes les odeurs, sauf l’ail qui sent la mort. Mais non, Richard, l’ail repousse la mort justement.
L’eau froide associée à sa mère qui le lavait quand il était enfant jusqu’à ce qu’un jour il bande dans sa main. Et il banderait dès qu’il serait entre les mains des femmes et particulièrement celles de sa mère.
La « barricounette » plus acceptable que la « bite » (p 34). Nettoyer le prépuce.
La nuit est bonne (p 36).
L’amour selon Millet : « … tout en sachant que l’amour est le plus souvent un pacte de gestes que nous tentons de travestir en morale et que la langue familière résume par l’expression « être à la hauteur » » (p 37)
« L’impossibilité de l’amour au sein d’un monde obsédé par la bonne santé sexuelle et par le souci de transformer les perversions et les tares en particularismes respectables » (p 40).
Siom - un monde où l’on se méfiait encore de la lumière, de l’air, du soleil, et qu’on fermait les fenêtres toute la journée, « … des existences entières dans le même lieu où rien n’avait changé pendant cent ans.. » (p 41)
Le contre-feu du désir que provoque un défaut physique et fait que la femme que l’on devrait adorer nous répugne. (p 44)
La grand-tante Marie qu’on n’ appelle ni tata, ni mémé - « les Bugeaud eussent pensé déchoir, même entre eux », p 48.
« Cantou » VS « âtre » (p 49)
Anciennes peurs, superstitions, la menace des Romanichels sous sa jupe.
Topologie.
« … j’en appelle non pas à l’indulgence de qui me lit (car, dans une affaire amoureuse telle que la lecture, solliciter l’indulgence c’est courir au naufrage), mais à cette faculté d’abandon, d’oubli, de perte de soi, qui est le propre des grands lecteurs autant que la trace du tacite contrat passé avec l’écrivain, quand celui-ci se tient au seuil des souterrains de son enfance. » (p 57)
Caves réelles et intérieures – remonter le langage. Souterrains, secrets, sables mouvants. Les morts dans la cave. Morts et pommes de terre. La mangeaille et les morts. Présence des morts qui le regardent par les yeux multiples des pommes de terre.
Caves & greniers. Les aulx et échalotes pendus au plafond, « note si éminemment funéraire », terreur enfantine.
Découverte de mot : « …l’apéritif Byrrh » qu’il associera un jour à Beyrouth (p 85), pentagramme magique de la langue.
Les cartes érotiques de l’époque qui ont l’air étrange, le désir étant rarement anachronique.
Marie et Antoine, mort à la guerre. La boucle des cheveux de Marie qu’il avait apporté dans sa besace et qu’on retrouve après sa mort. Coutume ancien temps (mon oncle a fait ça avec ma grand-mère à sa mort). Marie devient veuve Foly.
Le Proust du « plateau de Millevaches » (p 96)
Le pèlerinage de Marie dans les tranchées, là où est mort Antoine, son mari. Mort comme Alain-Fournier. Voir le crâne du mort (comme Pialat sa mère).
La rencontre légendaire entre sa mère et Virginia Woolf (p 109).
Amour limousin avec Marina la limousine. Marina qui l’avait surpris il y a dix ans en train d’écrire.
Sa mère qui menaçait de l’enlever à Marie et à Jeanne, ses mères tutélaires, plus réelles que la vraie.
Seins (p 147) et fruits (p 149)
« La vie n’étant rien d’autre qu’une interminable tentative pour décrypter les oracles que nous lancent nos parents, et le fait d’écrire peut-être le long, l’interminable déchiffrement d’un palimpseste enluminé de figures tendres et repoussantes dont la langue nous est tout à la fois étrangère et familière » (p 164)
Sa mère, héroïne sortant d’un roman de Mauriac, ayant voulu s’élever, sortir de la gadoue limousine, agrégée d’allemand, embarrassée par ce fils gadoue, froide, qu'elle n’embrasse pas. La mère dénuée de ce regard chaud et bienfaisant de mère et que possède Marie. « Par moment, ma mère n’avait pas de visage. » (p 169)
Marie. « Elle aurait élevé trois enfants appartenant à trois générations, et semblait notre mère à tous, cette frêle petite femme qui laissait couler de la cire sur ma gorge, en appelait aux romanichels, m’envoyait voir de quelle couleur était le cul de la Limougeaude, me laissait choisir, le dimanche après-midi, dans l’épicerie obscure où j’errais à tâtons …. » (p 170)
Les orties pour le punir. Ou pour punir son camarade Alphonse Philippeau qui un jour l’a traité de bâtard La fierté de ce dernier d’avoir été fouetté publiquement par une femme que toute Siom respecte. Et même s’il tournera mal.
Lui-même fouetté publiquement par Marie, p 192, et qui est pour lui une façon d’être glorifiée – la gloire enfantine d’appartenir à une race si dure donc supérieure (Mademoiselle Lambercier citée).
Jean Pythre, les revenants.
La peur d’être un « écrivain sans livre » (p 194)
« Le discours sur les races ayant remplacé les races… » (p 206) « elle qui vivait en un temps où il y avait encore des vices et des vertus, et non des pratiques sexuelles minoritaires.. » (p 211) Homosexualités campagnardes. Alain Chèze, le garçon coiffeur gay. « Je l’ai connu à la fin de sa courte vie, plus solitaire que jamais, maigre, laid, portant sur le visage les tares de ceux qui n’ont pas su tuer le minotaure au fond de leur propre labyrinthe. » (p 212)
Les morts dont il faut au moins écrire les noms. « Les mères, les écrivains et les fossoyeurs savent où gisent les morts, comment les retrouver, les évoquer, les faire revenir, les apaiser. » (p 209)
Découverte de mot : Khmer – « et cette épithète inouïe (révélée comme une secret que j’aurais pensé trahir en allant en chercher le sens) l’emporta en prestige sur toute autre ethnie ou race lointaine dont je peuplais mes songes, parce que c’était là un de ces mots inconnus grâce auxquels j’avais l’impression de sortir de Siom sans renier les mieux, et qu’il laissait vibrer dans nos bouches les sonorités du mot « mère » » (p 214)
Déclin, désenchantement, décadence. Les sublimes généralités de Richard Millet.
Les premiers émois sexuels.
« Une fois chassé de l’enfance, on est au monde par défaut… » (p 228)
La mort de Marie. Celle qui refusa de se remarier // Marie p 232. Les fleurs qu’il ne supporte pas.
Les livres par lesquels il va concilier le monde de Marie et celui de sa mère (p 237) Le seul don de sa mère aura été littéraire – le don le plus paradoxal et le plus inouï.
Superstition vénérable des gens de la campagne. « Elle disait encore qu’il ne fallait pas filer la laine le Mercredi saint, ce qui fût revenu à tresser les cordes avec lesquelles ont avait attaché Jésus sur la croix… » (p 238) Quand chaque geste de la vie avait un sens….
La mort de Marie – disparition d’un monde enchanté. Petite fille du XIX ème siècle. Fin de la première enfance. Expulsion du paradis. Chute dans le temps.
VILLEVALEIX
L’accouchement – les cris du cochon.
La deuxième enfance : après Marie et Jeanne, Louise.
Autre superstition - ne pas dormir devant un miroir car on risque de se réveiller de l’autre côté du miroir. Fermer soigneusement portes et fenêtres. Et faire ses besoins dans le pot de chambre plutôt que de sortir de sa chambre pour aller dans la salle de bain. On pourrait rencontrer un fantôme. Les maux de ventre qui commencent et ne le quitteront jamais.
Le sentiment d’abandon auprès de cette femme, Louise, mais qui s’occupe de lui à sa manière.
« Amenez le Marquis ! » (p 261) – ainsi appelle-t-on le cochon que l’on va égorger.
Tuer pour être un homme – tuer le poulet. Tuer les chatons nouveau-nés. Assister à l’égorgement du cochon jusqu’au bout.
L’instituteur socialiste qui le punit parce qu’il utilise un français trop châtié – trop bourgeois. La haine de la haine des classes. Comme je le comprends ! D’ailleurs, je le comprends sur presque tout.
Le manteau de Louise (p 271)
Les mauvaises odeurs. L’obsession des odeurs. Avoir toujours du parfum sur soi au cas où.
Blida, page 303.
Fils de boche. Bâtard. Vaincu. Et pire.
Le dégoût du corps des hommes.
La bagarre avec le fils Brigouleix, postier. Le coup de la vipère (p 313 - 315 – Vipère au poing).
Rituels et profanations : cracher sur la grand-mère. L’âge cruel des pré-ados. La vie fasciste. Pages incroyables.
Enfants paysans qui vont déféquer ensemble puis se faire torcher par Ika, l’épagneule qui vient lécher leur derrière !
Parias martyrisés.
« Les mots appartiennent à la nuit » (p 333)
Les seconds émois sexuels.
« Savait-elle qu’un homme à qui une femme a soutiré sa semence est une sorte d’enfant terrifié par le noir ? » (p 346)
Encore une bataille de mots : « pute » et « prostitué » p 347.
SION
De Siom à Sion. Race élue (mais elles le sont toutes comme toutes les origines sont sacrées.)
La nuit infinie avec Marina. « Tu étais donc tout ce qui restait aux Bugeaud ».
Encore les peurs d’enfance. Les nuits, les ombres, l’alcool pour se donner du courage. Puis, un jour, la sexualité. Pour ceux qui peuvent. Le sentiment persistant d’être déjà mort. Alors qu’il n’est resté qu’un enfant, comme le lui fait remarquer sa jeune amante.
Souffrance : ne pas avoir connu de complicité avec sa mère. Bien pire que n’en avoir pas connu avec son père.
« C’est beau (…) Je venais d’entendre la formule qui me permettrait non comprendre le monde, c’eût été excessif, mais que ces paysages pouvaient exister indépendamment de moi, et autrement, et j’étais prêt à me croire autre que je n’étais. » (p 502)
Entre la conscience sociale et la conscience du beau, il faut choisir. Ou plutôt ça choisit en nous.
On l’envoie deux mois dans une région pire que Siom, où les femmes mangent après les hommes, où l’on ne se lave qu’une fois le mois, même pas, où l’on entend les cris effroyables du cochon que l’on castre ou dont on lime les dents. Monde de la sauvagerie primitive où il connaît pourtant le pur sentiment d’existence (en gardant les moutons).
De sublime en sublime.
Le temps – à la fois notre ennemi et notre complice, notre bourreau et « notre plus fidèle allié » Et c’est pourquoi les arts du temps sont supérieurs aux arts du visible (p 521).
« Frontière fluctuante, dont le tracé obéissait à une rétractabilité ou une expansion, un peu comme les lèvres de l’huître sous le jus de citron…. »
L’urine – bonne contre… l’acné. Avant l’asperge.
Théorie des climats : « plus le climat est rude, plus hautes sont la morale, l’exigence intérieure, les œuvres. »
Chez les Berthe-Dieu.
Abandonné à lui-même entre les livres et la chienne de la maison - et dont il doit tuer à chaque fois les portées, « tâche dont j’ai appris à m’acquitter sans rechigner, pour ne pas perdre la face, comprenant que, comme celle des poulets, la mort de ces chiots à peine sortis du ventre de leur mère faisait, comment le dire autrement, partie de ma vie…. » (p 547) Comment on tue des animaux, puis des hommes. Comment on pense au nazi de La liste de Schindler ou au Salo de Pasolini.
Le premier baiser, cet « acte contre nature » sans comprendre « quel plaisir on pouvait trouver à ce qui relevait à mes yeux de la bave et du crachat, comme si j’avais eu sur la langue non pas le goût secret d’une jeune fille mais ce que le père Allagnac, Berthe-Dieu et tant d’autres allaient bruyamment chercher au fond de leur gorge avant de l’expectorer. » (p 561)
Puis plus tard l’acte amoureux qui s’effectue, à chaque fois, à chaque femme, « dans un silence si profond qu’il me donne à croire que j’entends le bruit de ma verge écartant doucement ses muqueuses : le plus secret des bruits, semblable au bruit de la soie qui se déplie…. » (p 564)
Marina parle. Temps de Marina.
Il n’y a pas d’échec en amour. Amélie disait la même chose.
« Marina, Marina, je te regarde dans la nuit qui vient et qui ne sera jamais tout à fait la nuit tant que nous nous parlerons ; une nuit plus humide que le vent d’ouest, disait ma grand-tante Marie, humide comme seule peut l’être une femme heureuse. Je te regarde en songeant que les autres n’ont pas ça, la vision d’une femme dont le sexe paraît frémir avec le même bonheur qu’une bouche d’enfant, et qui s’est donnée sans retenue, dans une nudité dont je n’arrive pas à croire qu’elles l’ont connue, Marie, Louise, Jeanne, elles dont les figures surgissent de nouveau derrière la tienne, Marina, tandis que je ferme les yeux, épuisé par ce nouvel assaut amoureux qui nous hébétés, sans voix, prêts à tomber dans le court sommeil d’après l’amour. » (p 578)
Jeanne Moreau et Françoise Sagan. Figures tutélaires de l’époque.
Devenir le cimetière de ses ancêtres. « C’était donc en moi que gisaient Marie et Louise ; j’étais la tombe de ces femmes qui m’avaient aimé, élevé, protégé… »
Puis la vue du sexe de Jeanne « qui n’a jamais enfanté », quand le docteur lui demande de lui tenir la jambe en l’air pendant qu’il l’opère à vif. Et qui lui rappelle un autre sexe vu dans son enfance, celui de Denise Chave en train de chier, « puanteur et fragrance » se complétant à cet endroit, et qui l’effraie : « Et je m’étais mis à pleurer, pensant que c’était pas un trou de ce genre que j’étais venu au monde, comme un étron… »
« La nuit est loin d’être achevée. La nuit est dans nos bouches. »
Le roman, invention chrétienne s’il en est. Le « Rome en » (ça, c’est de moi).
Demander, adulte, à sa mère, qu’elle l’aime, au moins qu’elle lui dise qu’elle l’aime (p 680).
Ecrire sur sa mère. Ecrire, seule façon d’aimer.
La plus belle phrase du monde, selon lui : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (p 696)
Et le monologue final de Marina (comme Molly dans Ulysse), et la révélation finale que si elle est allée à lui, si elle l’a aimé, c’est parce que sa mère à elle l’avait connu, enfant, sur les bancs d’école, et qu’elle était tombée amoureuse de lui, et qu’aujourd’hui elle est morte, et qu’elle a demandé à sa fille de l’aimer à sa place, d’aller l’aimer comme elle aurait voulu l’aimer, et la fille a obéi à la mère, est devenue sa mère, et lui ne l’a jamais su, et maintenant il le sait, et c’est pourquoi la fille le quittera, non pas du tout par esprit de vengeance que par accomplissement, car la fille et la mère seront toujours en lui. Et la nuit est passée. Et la lumière de cet amour s’est faite. Et la palingénésie s’est effectuée. Et le temps est devenu amour.