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eau

  • 02 - Premiers embrasements

     

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    L’amour, c’est Aurora Cornu, la romancière roumaine qui sévit pour l’éternité dans Le Genou de Claire de Eric Rohmer, et, pour ceux qui ont eu le privilège insensé de la rencontrer, la femme la plus fabuleuse, et aussi la plus belle, et la plus tout, de tous les temps. Dès qu’elle apparaît, il ne s’agit plus que de « sortie du temps », d’ « accession mystérieuse à un autre état de la réalité », d’extase d’être « happé par le secret agissant d’un monde supérieur pacifié de l’intérieur, limpide, fait de joie et de gloire », de « transmutation profonde de tout l’être », où l’on devient pour de bon « quelqu’un d’autre, libre, entièrement libéré, dégagé de toute amertume et de toute faiblesse intime, rempli d’un feu ardent, vivant d’une joie infinie, lumineuse, débordant comme une source intarissable, exaltée, toute puissante »,  « dédoublement transcendantal de soi-même » et dans lequel on peut dire en toute conscience que Je est un Autre. Aurora Cornu ou le « rêve de seuil » de Jean Parvulesco – et, si je puis me le permettre, du mien. D’ailleurs, c’est simple je ne lis Parvulesco que pour savoir comment être à la hauteur d'Aurora. Etre à la hauteur une seule fois dans ma vie. Et sans la faire pleurer comme il ose le faire, lui, dans son rêve, espèce de mufle paranormal ! « Le message réverbérationnel relatif au prochain changement ontologique » n’avait vraiment pas besoin de mettre en danger, sous couvert de symbole, la déesse au sourcil blanc, même si l’on comprend son souci d’être sauvé par une femme sacrificielle, parce nous, les hommes, nous avons tous besoin d’être réaccouchés :

     « L’ambivalence véhiculée par ce rêve avec l’apparition tragique d’Aurora en passe de franchir si périlleusement le pont appelé à mettre en question sa propre vie ne laisse d’irradier un secrètement un sens intercessionnel tout à fait terrifiant, en même temps que porteur d’une assurance de salut et de délivrance, de grande libération finale, "aurorale" ».

    Qu’à cela ne tienne ! Il s’agit d’aller déjeuner le lendemain avec elle et de discuter de ce rêve qui naturellement trouve écho dans sa vie à elle, sinon dans ses vies antérieures. Dans l'une d'elles, elle se serait pendue, ce qui aurait expliqué son divorce, "incroyable et incompréhensible", quelques siècles plus tard, avec son mari, le romancier Marin Preda. Emulations divinatoires. Echange de bons procédés cartomanciens. Science des impalpables et dont il faut taire à tout prix, exhorte la roumaine bhagavadgītienne, le caractère irrecevable auprès des civils - la réalité spectrale ne se convoquant pas comme ça. « Surtout ne jamais en parler. Jamais, au grand jamais. »

    Le comble, c’est que tout cela commence à paraître naturel. La magie de la langue finit par opérer. Ludovic Maubreuil a tout dit là-dessus : « Cette langue qui témoigne d’une absence insensée d’assujettissement aux règles en vigueur, cette langue tout en circonvolutions limpides qui donnent l’impression d’être enfin dans le secret des dieux tout en se perdant aux enfers, cette langue-là est en effet comme une sorte de réaction chimique qui dissout instantanément la compartimentation de la post-littérature, la rend caduque à tout jamais et permet enfin de dépasser son absence d’attaches comme ses ersatz d’audace, pour en rêver immédiatement une autre. » La langue parvulescienne comme créatrice de nouvelles croyances. La langue comme nouvelle croyance. Comme le disait Aurora d’elle-même au début du Genou, avec elle, la flamme, la femme, la foi, tout est possible.

     Tout est possible, même et surtout l’impensable. La révolution colchidienne consistera à abolir la révolution socialiste européenne parce que « le socialisme, c’est le sida en phase terminale de l’histoire actuelle de l’Europe. » Il faut désocialiser l’Europe, c’est-à-dire la déculpabiliser, lui arracher le fouet avec lequel elle se flagelle depuis trop longtemps, quitte à la faire flageller par Marie elle-même, ou par Sainte Sophie, ou par Aurora, soit d’une main qui lui redonnera le goût de la souveraineté, de la gloire et des mystères. Et pour cela relire Gérard de Nerval, Henri Bosco et Jean-Louis Bouquet, le seul auteur fantastique français digne de ce nom et dont les livres peuvent agir sur la France – « la mission secrète d’une certaine littérature française » n’étant ni plus ni moins qu’ « une intervention directe du surnaturel en action. » Outre-mondes, cités de l’ombre, visages de feu, ténèbres opératoires, nous voilà.

     Et surtout ne pas croire que nous aurions manqué le coche. Avec la foi, rien ne se perd, tout se rattrape, tout recommence, tout revient. Dieu pardonne jusqu’à soixante-dix-sept fois, c’est connu. La seconde ou la millième chance, c’est à chaque instant, c’est même la définition de l’instant. Mircea Eliade en avait persuadé Parvulesco : « … seule la deuxième bouteille compte. L’expérience finale, décisive, fondamentale de la libération, c’est retrouver ce qui vous été déjà  donné une première fois et que vous avez perdu. » La Parousie est une histoire d'amour.


     

    Un enfant me suivait dans mon rêve cette nuit ;

    Apre et frêle, cartable rempli de poèmes

    Etrange ce double élan maternel qui me prit

    Etait-ce le poète qui va nous suivre quand même ?

     

    Enfant mystérieux, si vaillant, si malin

    Eveillée, mon coeur en alerte le console,

    Tu appelles les coups comme un caillou en chemin ;

    Quand tu seras fatigué, souviens-toi de mes paroles ;

     

    - Apprends à dormir, mon petit combattant, dépose l'arme

    Oublie la gloire, renonce à l'orgueil, rejette en dehors

    Les sentiments qui ne sont pas les piliers de ton âme

     

    Et ceux qui en restent, entoure-les de ténèbres et dors !

    Le sommeil est pour nous le brou amer de noix

    Lorsqu'il se défait, les eaux chantent l'émoi.


    (La déesse au sourcil blanc)


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    A SUIVRE



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