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Le désir et le dégoût

 

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- Oui, dit Léone. Tu m’as expliqué ce qui distinguait les hommes : il y a ceux qui peuvent toujours et ceux qui ne peuvent pas toujours…

- Oui, et ceux qui peuvent toujours ne vivent que pour la chose, parce qu’on a beau dire, c’est ce qu’il y a de plus agréable au monde…

- Et ceux qui ne peuvent pas toujours, enchaîna Léone (ils entretenaient entre eux de secrètes rengaines, qu’ils rabâchaient depuis leurs fiançailles, et qui les aidaient pour finir leur dispute)…Ceux-là se donnent à Dieu, ou à la science, ou à la littérature…

- Ou à l’homosexualité, conclut Robert.

François Mauriac, Le sagouin

 

Lorsque Jean-Luc Barré, le nouveau et très reconnu biographe de Mauriac, affirme que l’homosexualité de ce dernier structure sa vie et ses romans, il ne veut pas dire, comme s’en offusqueraient les puritains ou comme s’en féliciteraient les « gays », que l’homosexualité est la clef de son œuvre, voire son aboutissement, mais qu’au contraire elle en est le problème majeur. En Mauriac, pourrait-on dire, l’homosexualité est à l’œuvre au sens opératoire. C’est par elle que le roman explore le conflit de la chair et de l’esprit. C’est par elle que le romancier a eu le sentiment de sa différence, sinon de sa distinction. Distinction équivoque s’il en fut mais d’une richesse infinie sur le plan intellectuel et social et qui lui permit de comprendre les blessures intérieures des autres et sans doute d’écrire l’une des versions les plus belles de l’humanité déchirée avec elle-même. Voici en effet François M., un homme attiré depuis toujours par les garçons, qui lut Proust avec ferveur, fréquenta toute sa vie des homosexuels affichés comme Jean Cocteau, partit en voyage de noce avec quelques-uns d’entre eux, mais qui refusa toujours d’être catalogué comme tel – et ce non pas tant pour de simples raisons d’hypocrisie bourgeoise que pour des raisons existentielles et littéraires. C’est qu’ un coming out aurait été fatale à son écriture. L’homosexualité, en ce qu’elle était une contradiction totale avec ses aspirations de chrétien, c’est-à-dire d’homme libre, fut ce qui lui permit de penser cette liberté dans sa dimension à la fois la plus grandiose et la plus terrifiante. « Sorti de son ambiguïté, Mauriac ne serait pas devenu Mauriac », dit avec raison Jean-Luc Barré[1].

Qu’est-ce qu’en effet la liberté sinon la possibilité de faire des choses que l’on n’a pas envie de faire ou celle de ne pas faire des choses que l’on aurait envie de faire ? Qu’est-ce que la liberté sinon ce qui nous permet d’entraver nos pulsions et de réaliser nos idéaux ? Naïfs, et au fond de mauvaise foi, ceux qui prétendent que l’être humain n’est pas libre et qu’il ne peut que suivre ses passions, mais encore plus naïfs, et franchement détestables, ceux qui affirment que la liberté est la seule réalité de notre être, et qu’il suffit de vouloir pour pouvoir. Oui, détestables par exemple ces hétérosexuels qui, encore aujourd’hui, estiment que l’homosexualité est un « choix », et donc un mauvais choix, alors qu’eux, hétéros chanceux, ont fait le bon choix – comme si nous étions responsables de nos érections ! En vérité, il est ignoble de croire que notre bonne santé mentale et sexuelle serait le fruit d’une « décision » mûrement réfléchie. La seule chose que nous pouvons faire, notre seule liberté, est de renoncer à vivre ce que nous sommes et que nous ne voulons pas être. En fait, exercer sa liberté revient toujours à contrarier son être profond – qui lui n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais libre. La seule liberté, c’est l’abstinence. L’homosexualité, et de manière générale tout ce qui est contrariant dans l’être humain, tout ce qui le dévie de ses idéaux, nous allions dire, tout ce qui est sexuel en lui, prouve que la liberté est une résistance à l’ordre des choses – et c’est pourquoi sa pratique est si douloureuse. La liberté, gloire et croix de l’homme. En ce sens, Rousseau avait raison, il faut toujours se forcer à être libre.

Extrait de "Mauriac, l'épouilleur II" dans Le magazine des livres, en kiosque à partir d'aujourd'hui.



[1] Dans un interview du Nouvel Observateur et que l’on peut retrouver ici : http://bibliobs.nouvelobs.com/20090320/11391/mauriac-et-les-garcons

Lien permanent Catégories : Joseph Vebret Pin it! Imprimer

Commentaires

  • Drôle d'idée dans son "Sagouin", on serait d'esprit sodomite par manque de tempérament ... c'est ce que l'on appelle une morale par déficit !

    Sans vouloir contrarier les mânes de François Mauriac la majorité des antiphysiques ne sont pas châtrés et maintenant en plus on a le viagra pour jouer les prolongations.
    Ceci dit c'est un roman ses personnages ont le droit de croire tout ce qu'ils veulent même des sottises.

    Quant à la noblesse d'âme que tu prêtes à Mauriac, il ne faut quand même pas exagérer il était un ambitieux - voir la visite à Barrès avec "les mains jointes", grand croix de la LH remise par De Gaulle, prix Nobel, Académie française à moins de 50 ans et il n'avait pas envie de sacrifier ni son confort ni sa carrière à quelques frissons de la chair.
    La magnanimité de Mauriac est à chercher ailleurs ...

  • Mais en fait, tu apporte de l'eau au moulin de Montalte, iPidibule: il est sans aucun doute arriviste et carriériste et tout ce que tu veux, mais il a choisi et construit sa vie par delà ses penchants naturels.

    La liberté c'est transcender la nature, et en premier la sienne.

    "Nature, Mr. Allnut is what we are put on this world to rise above" (John Huston, 'La Reine Africaine')

  • Oui, effectivement la liberté de tromper les autres qui peut mener loin ... mais alors je demande moi la liberté de faire le coming-out de qui je veux pour détromper le public de tous ces faux discours ! S'il y a procès il faut bien qu'il y ait des débats contradictoires ... seulement voilà à l'époque de Mauriac on interdisait les débats de cette sorte !
    Qu'on me cite un seul écrivain qui soit entré à l'Académie française en proclamant haut et fort ses goûts sodomites avant Mauriac !
    Depuis peu nous avons Marc Fumaroli, Dominique Fernandez, Angelo Rinaldi après Julien Green mais cette nouveauté a été acquise à grands frais.

  • Zut ! J'avais oublié Marguerite Yourcenar en 1980 "la grande ourse", première femme et première adepte de Lesbos à l'Académie qui ne faisait pas mystère de ses goûts et de sa vie avec Grace Frick à Mount Desert, et qui écrivit le beau roman des "Mémoires d'Hadrien" éloge de la pédérastie antique.

    Dans les années trente elle fut amoureuse - vainement - du poète homosexuel André Fraigneau et à la fin de sa vie elle vécut avec un jeune gay américain Jerry Wilson.

  • En fait, tu déconnes tout le temps, tu ne prends rien au sérieux, mais alors, dès qu'on parle d'homosexualité, mazette, te voilà sérieux comme un pape !

  • Mais je ne cherche pas à te convertir, que je sache ! Ceci dit tu sais je suis surtout un croyant non pratiquant un peu comme toi ...

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