À l’occasion de la parution de la Correspondance de François Mauriac et de la sortie en salle du film de Claude Miller avec Audrey Tautou dans le rôle de Thérèse Desqueyroux, retour sur François Mauriac, un des écrivains les plus engagés dans l’histoire littéraire, spirituelle et politique du XXe siècle.
L’écriture fraternelle de François Mauriac. Comme nous nous sentons bien chez lui, comme nous avons l’impression qu’il nous comprend, comme nous croyons, pauvres âmes en peine que nous sommes, que si nous écrivions, ce serait comme lui : « Peut-être connaissons-nous mieux qu’aucune autre, la femme qui ne nous a pas aimés (1) », mais peut-être celle-ci nous a-t-elle moins méprisés que nous le pensions.
« Fernand pouvait dormir tranquille : il n’avait jamais été trahi, fût-ce en esprit, par l’enfant misérable qui n’avait su que marquer des points, que parer des coups (2) », et qui, à force de tous les parer, avait fini par parer la vie elle-même – la vie, la mère, suprêmes complices, suprêmes ennemies.
« Je prenais avec les femmes, par timidité et par orgueil, ce ton supérieur et doctoral qu’elles exècrent. Je ne savais pas voir leurs robes. Plus je sentais que je leur déplaisais et plus j’accentuais tout ce qui, en moi, leur faisait horreur. Ma jeunesse n’a été qu’un long suicide. Je me hâtais de déplaire exprès par crainte de déplaire naturellement (3) »,
et j’attendais secrètement qu’elles me comprennent malgré moi, qu’elles me prennent dans leurs bras en riant et qu’elles me fassent pleurer d’amour et de reconnaissance dans leur sein.
« Je ne suis pas fait pour l’insuccès », avoue un soir Mauriac au bord de l’effondrement parce qu’une de ses pièces vient d’essuyer un four. C’est que ce romancier-dramaturge apparemment si cruel, ce spécialiste de l’écriture noire, a besoin de sympathie autour de lui, de chaleur humaine, d’admiration. Mieux qu’à Gide qu’il a défini ainsi, il est « quelqu’un d’offert ». Il est une offrande, mais à condition que les autres soient des réceptacles. Maurice Barrès qui le « lança » en 1910 ne lui avait-il pas prédit « une carrière aisée et glorieuse » ? Sauf ce soir-là, celle-ci le fut.
Né en 1885 à Bordeaux, ayant perdu son père alors qu’il était nourrisson, François Mauriac est élevé, avec sa sœur et ses trois frères, par une mère pieuse qu’il chérira toute sa vie et à qui il rendra hommage dans Le mystère Frontenac (1933). C’est pourtant lui l’auteur de Génitrix (1923), le plus accablant portrait de mère carnassière de la littérature. Est-ce à dire qu’il a menti quelque part ? Mais non ! Le grand romancier est celui qui perçoit toutes les facettes d’un comportement et qui d’un détail peut voir que la mère la plus digne et la plus aimante aurait pu être la mère la plus indigne et la plus abusive. S’inspirer de quelqu’un qu’on aime et en faire un personnage haïssable, tirer de l’ange une bête, ou le contraire, c’est le propre de l’art romanesque – et c’est ce dont se défient toujours le plus les proches du romancier. Généralement, on a beaucoup de mal à accepter ce qui nous apparaît comme une diffamation littéraire – y compris quand le livre nous rend hommage. Ainsi Mauriac avoue dans un entretien que quarante ans après Thérèse Desqueyroux, il reçut une lettre furieuse de quelqu’un de la famille de celle qui lui avait inspiré son héroïne, et qui se disait outré qu’on ait fait un roman, et un roman « édifiant », « féministe », de ce drame sordide. Ah la famille ! Elle n’est jamais à la fête en littérature ! Et Mauriac, qui vient paradoxalement d’une famille unie, ne cessera de lui porter les coups les plus rudes, actualisant mieux que quiconque le fameux mot de Gide : « Familles, je vous hais ! » Ce ne sera donc pas par hasard si le personnage le plus ridicule et peut-être le plus honni de la cosmogonie mauriacienne est ce Bernard Desqueyroux, parangon de l’esprit de famille, qui ne jure que par..... A SUIVRE ICI :