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  • Les sandales et la simplicité

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    Encore Chesterton :

    "Je pense qu'un grand reproche doit être adressé aux partisans actuels de la vie simple, de la vie simple sous toutes ses formes, depuis LE VEGETARISME jusqu'à la doctrine plus consistante des Doukhobors , c'est qu'ils voudraient nous rendre simples dans les choses sans conséquence et compliqués dans les choses de conséquence. Ils voudraient nous rendre simples dans les choses qui n'importent pas, tels la nourriture, le costume, l'étiquette et le système économique. Par contre, ils entendent nous rendre compliqués dans les choses qui importent, la philosophie, la loyauté, l'acceptation spirituelle et le refus spirituel. Il n'est pas grave après tout qu'un homme mange une tomate sur le gril ou une tomate crue, mais il est très grave qu'il mange une tomate crue avec un esprit sur le grill. La seule espèce de simplicité qui vaille d'être conservée est celle du coeur, la simplicité qui sait accepter et se réjouir. On peut raisonnablement émettre des doutes sur le système susceptible de la conserver, mais il n'est pas douteux que tout système de la simplicité la détruit. Il y a plus de simplicité chez l'homme qui mange du caviar par impulsion que chez l'homme qui mange des grape-nuts par principe.

    L'erreur principale de ces gens se révèle dans la phrase même qui leur sert de devise : Vie simple et pensées élevées. Ces gens n'ont aucun besoin et n'éprouveraient aucun bien d'une vie simple et de pensées élevées. Ils ont besoin du contraire. Il éprouveraient du bien d'une vie élevée et de pensées simples. Un peu de vie élevée (je dis ces mots avec une pleine conscience de ma responsabilité) leur enseignerait la force et le sens des réjouissances humaines, du banquet qui dure depuis le commencement du monde. Ils apprendraient ce fait historique, à avoir que l'artificiel est, s'il se peut, plus ancien que le naturel. ils apprendraient que la coupe d'amour est plus ancienne que la faim. Ils apprendraient que le ritualisme est plus ancien que la religion. Et un peu de pensée simple leur enseignerait combien toutes leur théories morales sont dures et illusoires, combien est civilisé et compliqué le cerveau du tolstoïen qui croit réellement qu'il est mal d'aimer son pays et criminel de frapper un coup.

    Qu'un homme s'avance, chaussé de sandales, simplement vêtu, tenant fermement une tomate crue dans sa main droite, et dise : "les affections de famille et l'amour de la patrie entravent également le libre épanouissement de la fraternité humaine." L'homme de simple bon sens lui répondra avec un étonnement teinté d'admiration : "Que de mal vous avez dû prendre pour en arriver à sentir ainsi." La vie élevée rejettera la tomate, mais le simple bon sens rejettera tout aussi catégoriquement l'idée que la guerre est nécessairement un péché. La vie élevée nous convaincra que rien n'est plus matérialiste que de mépriser un plaisir parce qu'il est purement matériel et le simple bon sens nous convaincra que rien n'est plus matériel que de réserver notre répugnance principalement aux blessures matérielles.

    La seule simplicité qui importe est la simplicité du coeur. Si elle disparaissait, ce n'est pas une diète de navets ou un vêtement de cellular qui la ramènerait, ce sont les larmes, la terreur, les feux inextinguibles. Si elle nous reste, peu importe que quelques fauteuils de l'époque victorienne nous restent avec elle. Tant que la Société ne s'en prendra pas à ma vie  spirituelle, je lui permettrai, avec une soumission relative, de traiter à sa fantaisie ma vie matérielle. Je mettrai l'humilité d'un coeur simple à fumer des cigares, à boire une bouteille de bourgogne, à prendre un fiacre si toutefois par ces moyens je peux me conserver la virginité de l'esprit qui se réjouit dans l'étonnement et la crainte. Je ne prétends pas que ce soient les seuls moyens de la conserver. J'incline à penser qu'il en existe d'autres. Mais je ne veux rien avoir à faire avec une simplicité qui ignore la crainte, l'étonnement, et la joie tout ensemble. Je ne veux rien avoir à faire avec la vision diabolique d'un enfant trop simple pour aimer les jouets."

    Hérétiques, chapitre X, "Les sandales et la simplicité", pp 136-139

    (Illustration : Le bonheur de vivre de Matisse)

     

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